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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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sentis qu'il y avait quelqu'un dessus, les mains croisées sur la
poitrine comme un mort. Un coup de fouet glacé me cingla le ventre, mais, très
vite, je reconnus les ronflements et le profil de ce nez incomparable.
J'allumai la lampe de chevet et vis Fermín Romero de Torres, perdu dans un
sourire radieux et émettant des petits gémissements de plaisir sur la
courtepointe. Je poussai un soupir, et le dormeur ouvrit les paupières. A ma
vue, il parut étonné. Manifestement, il s'attendait à une autre compagnie. Il
se frotta les yeux et regarda autour de lui pour comprendre où il se trouvait.
    – J'espère que je ne
vous ai pas effrayé. Bernarda prétend que, quand je dors, je ressemble à un
Boris Karloff espagnol.
    – Que faites-vous sur
mon lit, Fermín ?
    Il leva au ciel des
yeux nostalgiques.
    – Je rêvais à Carole
Lombard. Nous étions à Tanger, dans des bains turcs, et je l'enduisais tout
entière d'huile, de celle qu'on vend pour le cul des bébés. Avez-vous déjà
enduit une femme d'huile, de haut en bas, consciencieusement ?
    – Fermín, il est
minuit et demi, et je tombe de sommeil.
    – Pardonnez-moi,
Daniel. Monsieur votre père a insisté pour que je monte dîner et, ensuite j’ai
eu un coup de barre à cause de la viande de bœuf qui a sur moi un effet
narcotique. Votre père m’a proposé de m’étendre ici un moment, en prétendant
que vous ne vous en offusqueriez pas…
    – Et je ne m’en
offusque pas, Fermín. Vous m’avez seulement surpris. Restez sur le lit,
retournez auprès de carole lombard qui doit s’impatienter. Et couvrez-vous, il
fait un froid de loup, vous risquez d’attraper un rhume. Moi, j’irai dans la
salle à manger.
    Fermín obtempéra
docilement. Les hématomes de son visage s’étaient enflammés, et sa tête, avec
sa barbe de plusieurs jours et ses cheveux clairsemés, ressemblait à un fruit
blet tombé de l’arbre. Je pris une couverture dans la commode et m’installai
comme je pus, persuadé de ne pas fermer l’œil de la nuit. L’image des deux
cercueils me hantait. Je fermai les yeux et, de toutes mes forces, essayai de
la chasser. Je parvins à la remplacer par celle de Bea nue dans la salle de
bain, à la lueur des bougies. Bercé par ces heureuses pensées, il me sembla en
tendre le murmure lointain de la mer et je me demandai si, sans que je m’en
aperçoive, le sommeil ne m’avait pas déjà vaincu. Peut-être voguai-je vers
Tanger ? Puis je compris qu’il s’agissait des ronflements de Fermín et, un
instant après, le monde disparut. De toute ma vie, je n’ai mieux dormi que
cette nuit-là, ni plus profondément.
     
     
    Quand le jour se leva,
il pleuvait à torrents, les rues n’existaient plus, et la pluie fouettait les
volets avec rage. Le téléphone sonna à sept heures et demie. Je bondis hors du
fauteuil, le cœur battant la chamade. Fermín, en peignoir et pantoufles, et mon
père, cafetière à la main, échangèrent un coup d’œil qui commençait à devenir
habituel.
    – Bea ?
chuchotai-je dans le combine, en leur tournant le dos.
    Je crus entendre un
soupir dans l’appareil.
    – Bea, c’est
toi ?
    Je n’obtins pas de
réponse et, quelques secondes plus tard, la communication fut coupée. Une
minute entière, je contemplai le téléphone dans l’espoir qu’il sonnerait à
nouveau.
    – Ils rappelleront
plus tard, daniel. Pour le moment, viens prendre ton petit déjeuner, dit mon
père.
    Elle rappellera plus
tard, me répétai-je. Quelqu’un à dû la surprendre. Ça ne doit pas être facile
de tromper la vigilance de M. Aguilar. Je n’ai pas de raison de m’inquiéter.
Avec cette excuse et d’autres du même acabit, je me traînai jusqu’à la table
pour faire semblant d’accompagner mon père et Fermín dans leurs agapes. C’était
peut-être la faute de la pluie, mais tout ce que j’avalais était insipide. Il
plut toute la matinée et, peu après l’ouverture de la librairie, une panne
d’électricité affecta tout l’ensemble du quartier et dura jusqu’à midi.
    – Il ne manquait plus
que ça, soupira mon père.
    A trois heures, les
premières fuites se manifestèrent. Fermín s’offrit pour monter chez Merceditas
et lui demander de nous prêter des cuvettes, des assiettes ou n’importe quel
réceptacle concave propre à recueillir les gouttes. Mon père s’y opposa
catégoriquement. Pour calmer mon inquiétude, je racontai à Fermín ce que
j’avais vu dans la crypte. Fermín

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