Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
Vom Netzwerk:
te
tient à l'œil. J'ignore ce qu'il a contre toi, mais ça se lit sur son visage...
    – Je sais.
     
     
    Le lundi suivant, quand
j'arrivai au bureau, je trouvai un individu constipé et gominé installé à ma
table. Il se présenta : Salvador Benades, le nouveau correcteur.
    – Et vous ? Qui
êtes-vous ?
    Personne, dans toute la
maison, n'osa échanger un regard avec moi tandis que je rassemblais mes
affaires. Dans l'escalier, Mercedes courut derrière moi et me donna une
enveloppe qui contenait une liasse de billets et des pièces.
    – Presque tous ont contribué
comme ils ont pu. Prends ça, s'il te plaît. Pas pour toi, mais pour nom.
    Ce soir-là, quand j'entrai
dans l'appartement du boulevard San Antonio, Julián m'attendait comme toujours,
assis dans le noir. Il avait écrit un poème pour moi, dit-il. C'était le
premier depuis neuf ans. Je voulus le lire, mais je m'effondrai dans ses bras.
Je lui racontai tout, parce que je n'en pouvais plus. Parce que j'avais peur
que, tôt ou tard, Fumero le trouve. Julián m'écouta sans rien dire, en me
serrant dans ses bras et en me caressant les cheveux. Pour la première fois
depuis tant d'armées, je sentis que je pouvais m'appuyer sur lui. Je voulus
l'embrasser, malade de solitude, mais il n'avait ni lèvres ni peau à m'offrir.
Je m'endormis contre lui, recroquevillée sur le lit de sa chambre, un lit
d'enfant. Quand je me réveillai, Julián n'était plus là. A l'aube, j'entendis
ses pas sur le toit, mais je fis semblant d'être toujours endormie. Dans la
journée, j'appris la nouvelle par la radio, sans comprendre. Un corps avait été
trouvé sur un banc du Paseo del Borne, le visage tourné vers basilique de Santa
Maria del Mar, assis les mains jointes sur le ventre. Une bande de pigeons qui
lui picoraient les yeux avait attiré l'attention d'un voisin, et celui-ci avait
alerté la police. Le cadavre avait nuque brisée. Mme Sanmarti l'avait
identifié : c'était bien son mari, Pedro Sanmarti Monegal. Lorsque le
beau-père du défunt reçut la nouvelle dans son asile Bañolas, il remercia le
ciel et se dit qu'il pouvait enfin mourir en paix.
     
     
     
    13
     
     
     
    Julián a écrit quelque part
que les hasards sont les cicatrices du destin. Le hasard n'existe pas, Daniel.
Nous sommes les marionnettes de notre inconscience. Pendant des années, j'avais
voulu croire que Julián continuait d'être l'homme dont j'étais amoureuse, ou
tout au moins ses cendres. J'avais voulu croire que nous nous en sortirions à
force de misère et d'espoir. J'avais voulu croire que Laín Coubert était mort,
qu'il était retourné dans les pages d'un livre. Nous sommes prêts à croire
n'importe quoi plutôt que d'affronter la vérité.
    L'assassinat de Sanmarti
m'ouvrit les yeux. Je compris que Laín Coubert était toujours bien vivait. Plus
que jamais. Il habitait dans le corps ravagé de cet homme dont ne restait même
plus la voix, et se nourrissait de sa mémoire. Je découvris qu'il avait trouvé
le moyen de sortir de l'appartement du boulevard San Antonio et d'y rentrer,
par une fenêtre qui donnait sur la cour intérieure, sans avoir besoin de forcer
la porte que je fermais à clef chaque fois que je partais. Je découvris que
Laín Coubert déguisé en Julián avait sillonné la ville et visité la villa
Aldaya. Je découvris que, dans sa folie, il était revenu dans la crypte et
avait brisé les pierres tombales, qu'il avait exhumé les sarcophages de
Penélope et de son enfant. « Qu'as-tu fait, Julián ? »
    La police m'attendait chez moi
pour m'interroger sur la mort de l'éditeur Sanmarti. Je fus conduite au
commissariat où, après avoir attendu cinq heures dans un bureau sans lumière,
je vis arriver Fumero, habillé de noir, qui m'offrit une cigarette.
    – Vous et moi pourrions être
bons amis, madame Moliner. Mes hommes me disent que votre mari n'est pas chez
vous.
    – Mon mari m'a quittée. Je
ne sais pas où il est.
    Une gifle sauvage me fit
tomber de ma chaise. Prisé de panique, je rampai en tentant de me réfugier dans
un coin. Je n'osai pas lever les yeux. Fumero se pencha et m'empoigna par les
cheveux.
    – Écoute-moi bien, sale
putain : je vais le dénicher, et quand je le tiendrai, je vous tuerai tous
les deux. Toi d'abord, pour qu'il te voie les tripes à l'air. Et lui ensuite,
quand je lui aurai appris que l'autre salope qu'il a envoyée dans la tombe
était sa sœur.
    – Il te tuera avant, ordure.
    Fumero me cracha à la

Weitere Kostenlose Bücher