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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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s'en était servi comme d'un appât empoisonné. Je levai la
main pour détacher la lame, mais le contact glacé du revolver de Fumero sur ma
nuque m'arrêta.
    – Une
image vaut mieux que mille paroles, Daniel. Si ton père n'avait pas été un
libraire de merde, il te l'aurait appris depuis longtemps.
    Je me
retournai lentement et me trouvai face au canon de l'arme. Il sentait la
poudre. Le visage cadavérique de Fumero souriait dans un rictus crispé et
terrifiant.
    – Où est
Carax ?
    – Loin
d'ici. Il savait que vous viendriez. Il est parti.
    Fumero
m'observait, impassible.
    – Je vais
te faire exploser la tête, morveux.
    – Ça ne
vous servira pas à grand-chose. Carax n'est pas là.
    – Ouvre la
bouche, ordonna Fumero.
    – Pourquoi
faire ?
    – Ouvre la
bouche ou je tire pour te l'ouvrir.
    Je
desserrai les lèvres. Fumero m'introduisit le canon du revolver dans la bouche.
Je sentis une nausée monter dans ma gorge. Le pouce de Fumero manœuvra le percu teur.
    – Et maintenant, minable, c'est le moment de savoir si tu as envie de
vivre. Compris ?
    Je fis un geste d'acquiescement.
    – Alors dis-moi où est Carax.
    Je tentai de balbutier. Fumero écarta le revolver de quelques
centimètres.
    – Où est-il ?
    – En bas. Dans la crypte.
    – Conduis-moi. Je veux que tu sois présent quand je décrirai à ce salaud les gémissements de Nuria Monfort pendant que je lui
enfonçais mon couteau dans...
    La forme jaillit du néant. Par-dessus l'épaule de Fumero, je crus voir des
rideaux de brume s'écarter dans l'obscurité et une silhouette sans visage, au
regard incandescent, glisser vers nous dans le silence total, semblant à peine
frôler le sol. Fumero en lut le reflet dans mes yeux brouillés de larmes et ses
traits se décomposèrent.
    Il eut juste le temps de se retourner et de tirer vers les ténèbres
épaisses qui le cernaient, et déjà deux serres parcheminées, sans lignes ni
relief, avaient pris sa gorge dans leur étau. C'étaient les mains de Julián
Carax, façonnées par les flammes. Carax m'écarta d'une poussée et écrasa Fumero
contre le mur. L'inspecteur cramponna à son revolver et essaya de le pointer sous
le menton de Carax. Avant qu'il ait pu appuyer sur la détente, Carax lui
attrapa le poignet et le cogna violemment contre le mur, à plusieurs reprises,
sans parvenir, lui faire lâcher son arme. Un deuxième coup de éclata, et la
balle alla s'enfoncer dans la paroi, en frisant un trou dans le panneau de
bois. Des étincelles de poudre brûlante et des esquilles
embrasées rejaillirent sur le visage de l'inspecteur. Une odeur de chair brûlée
envahit la pièce.
    D'une
secousse, Fumero tenta de se délivrer de ces serres dont l'une lui immobilisait
le cou et l'autre plaquait au mur la main tenant le revolver. Carax ne
desserrait pas l'étau. Fumero rugit de rage, agita la tête en tous sens et
parvint à mordre le poing de Carax. Une fureur animale le possédait. J'entendis
le craquement de ses dents déchiquetant la peau morte et vis ses lèvres
écumantes de sang. Carax, ignorant la douleur, peut-être incapable de la
sentir, saisit alors le couteau. Il le détacha du mur d'un coup sec et, sous
les yeux terrifiés de Fumero, il cloua le poignet droit de l'inspecteur sur le
panneau de bois en enfonçant la lame presque jusqu'au manche. Fumero laissa
échapper un hurlement d'agonie. Sa main s'ouvrit dans un spasme, et le revolver
tomba à ses pieds. De la pointe du soulier, Carax l'envoya valser dans les
ténèbres.
    L'horreur
de cette scène avait défilé devant mes yeux en quelques secondes à peine. Je me
sentais paralysé, incapable d'agir ou d'articuler la moindre pensée. Carax se
retourna vers moi et planta ses yeux dans les miens. En le regardant, je
parvins à reconstituer ce visage perdu que j'avais si souvent imaginé en
contemplant des photos et en écoutant de vieilles histoires.
    – Emmène
Beatriz loin d'ici, Daniel. Elle sait ce que vous devez faire. Ne te sépare pas
d'elle. Ne te la laisse enlever. Par rien ni par personne. Prends soin d'elle.
    Je voulus
acquiescer, mais mon regard se porta sur Fumero qui se démenait avec le couteau
planté dans son poignet. Il l’ arracha
d'une secousse et s’écroula à genoux, en tenant son bras blessé qui saignait.
    – Va-t'en,
murmura Carax.
    A terre,
Fumero nous regardait, aveuglé par la haine, la lame sanglante dans sa main
gauche. Carax se dirigea vers lui. J'entendis des pas pressés et compris

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