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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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tendance à confondre neige
et miracle en commentant l'insolite accident climatique. Les journaux du soir
l'annonçaient en première page, avec photo des Ramblas enneigées et de la
fontaine de Canaletas couverte de stalactites. « LA NEIGE DU SIÈCLE »,
clamaient les gros titres. Je me laissai tomber sur un banc du quai et respirai
cette odeur de tunnels et de suie qui accompagne le grondement des trains
invisibles. De l'autre côté de la voie, sur un panneau publicitaire qui vantait
les délices du parc d'attractions du Tibidabo trônait le tramway bleu
ruisselant de lumières comme une kermesse, et, derrière lui, on devinait les
contours de la villa Aldaya. Je me demandai si Bea, dans cette Barcelone
abandonnée du monde, avait vu la même affiche et compris qu'elle n'avait pas
d'autre lieu aller.
     
     
     
    3
     
     
     
    La nuit
tombait quand j'émergeai des escaliers du métro. Déserte, l'avenue du Tibidabo
dessinait une fuite infinie de cyprès et de demeures ensevelis dans une clarté
sépulcrale. J'aperçus la silhouette du tramway bleu à l'arrêt, et le vent
m'apporta le tintement de la sonnette du contrôleur. Je hâtai le pas et montai
dedans juste au moment où il s'ébranlait. Le contrôleur, vieille connaissance,
accepta mes pièces en marmonnant quelques mots inaudibles. Je m'assis à
l'intérieur, un peu protégé du froid et du vent Les villas sombres défilaient
lentement derrière les vitres voilées de givre. Le contrôleur m'observait avec
ce mélange de méfiance et de sans-gêne que le froid semblait avoir figé sur son
visage.
    – Le numéro
32, jeune homme.
    Je me
tournai et vis la forme fantomatique de la villa Aldaya s'avancer vers nous comme
la proue d'un bateau noir dans la neige. Le tramway s'arrêta d'une secousse. Je
descendis, évitant le regard de l'homme.
    – Bonne
chance, murmura-t-il.
    Je
regardai le tramway s'éloigner vers le haut de l'avenue et attendis que l'écho
de la clochette s'éteigne. Une obscurité solide s'abattit autour de moi. Je me
dépêchai de contourner l'enceinte à la recherche de la brèche. En escaladant le
mur, il me sembla entendre des pas sur la neige du trottoir d'en face. Je
m'immobilisai sur le faîte du mur. La nuit engloutissait tout. Le bruit
s'éteignit dans une rafale de vent. Je sautai de l'autre côté et pénétrai dans
le jardin. Les arbustes gelés se dressaient comme des statues de cristal. Les
anges écroulés gisaient sous des suaires de glace. La surface du bassin était
un miroir noir dont émergeait seulement, tel un sabre d'obsidienne, la griffe
de pierre de l'ange noyé. Des larmes de glace pendaient de son index. La main
accusatrice de l'ange désignait directement la porte principale, entrouverte.
    Je gravis
les marches du perron en espérant ne pas arriver trop tard. Je ne me souciai
pas d'amortir l'écho de mes pas. Je poussai la porte et entrai dans le vestibule.
Une file de bougies éclairait l'intérieur. C'étaient les bougies de Bea,
presque consumées, au ras du sol. Je les suivis et m'arrêtai au pied du grand
escalier. Le chemin de bougies montait jusqu'au premier étage. Je m'aventurai
sur les marches en suivant mon ombre déformée sur les murs. Arrivé sur le
palier, je vis encore deux bougies, plus loin dans le couloir. La flamme d'une
troisième vacillait devant ce qui avait été la chambre de Pénélope. Je
m'approchai et frappai doucement.
    –
Julián ? prononça une voix tremblante.
    Je posai
la main sur la poignée et m'apprêtai à entrer, ne sachant plus qui m'attendait
de l'autre côté. J'ouvris lentement. Dans un coin de la chambre, enroulée dans
une couverture, Bea me regardait. Je courus vers elle et l'étreignis en
silence. Elle éclata en sanglots.
    – Je ne
savais pas où aller, murmura-t-elle. J'ai appelé plusieurs fois chez toi, mais
il n'y avait personne. J'ai pris peur...
    Bea sécha
ses larmes avec ses poings et planta son regard dans le mien. J'acquiesçai, sans
éprouver besoin d'ajouter quelque chose.
    – Pourquoi
m'as-tu appelé Julien ?
    Bea jeta
un coup d'œil vers la porte entrouverte.
    – Il est
là. Dans la villa. Il va et vient.Il m'a surprise l'autre jour, alors que
j'essayais d'entrer. Je ne lui ai rien expliqué, et pourtant il a su qui
j'étais. Il a su ce qui se passait. Il m'a installée dans cette chambre et m'a
apporté une couverture, à boire et à manger. Il m'a dit d'attendre. Que tout
allait s'arranger. Que tu viendrais me chercher. La nuit, nous avons

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