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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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demander de garder la boutique aujourd'hui, car je veux rendre visite à M.
Federico, et j'ai rendez-vous ensuite avec Barceló. Et Daniel a à faire de son
côté.
    Je levai
les yeux à temps pour surprendre le regard complice qu'échangeaient Fermín et mon
père.
    – Jolie
paire de mères maquerelles, dis-je.
    Ils
riaient encore quand je sortis en crachant du feu par les naseaux.
     
     
    Une brise
froide et mordante balayait la rue en soulevant des traînées de vapeur. Un
soleil éclatant arrachait des reflets cuivrés à l'horizon de toits et de
clochers du quartier gothique. Plusieurs heures me séparaient encore du rendez-vous avec Bea, et je décidai de tenter ma chance en
rendant visite à Nuria Monfort, à supposer qu’elle soit encore vivante et
habite toujours à l'adresse indiquée par son père.
    La place
San Felipe Neri, cachée derrière les antiques murailles
romaines, n'est qu'un simple répit dans le labyrinthe de rues dont est tissé le
quartier gothique Les impacts de balles de mitrailleuses datant de la guerre
criblaient les murs de l'église. Ce matin-là, une bande de gamins jouaient aux
soldats, insouciants de la mémoire des pierres. Une jeune femme à la chevelure
marquée de mèches argentées, assise sur un banc, un livre entrouvert dans les
mains, les contemplait avec un sourire absent. L'adresse de Nuria Monfort
correspondait à un immeuble situé à l'entrée de la place. On pouvait encore
lire la date de sa construction sur l’arc de pierre noircie qui couronnait le
porche : 1801. L'ombre dans laquelle était plongé le vestibule laissait
deviner un escalier en colimaçon. Je consultai les boîtes aux lettres en fer-blanc
alignées comme des alvéoles dans une ruche. Les noms des habitants figuraient
sur des bouts de carton jaunâtres insérés dans des rainures.
     
    Miquel Moliner/Nuria Monfort
    3e ét. Apt a
     
    Je montai
lentement, craignant presque que tout l'immeuble ne s'écroule si je posais trop
fermement les pieds sur ces marches minuscules
de maison de poupée. Il y avait deux portes à chaque palier, sans numéro ni
indication. Arrivé au troisième, j'en choisis une au hasard et frappai.
L'escalier sentait le moisi, la pierre en décomposition et la terre. Je frappai
plusieurs fois sans obtenir de réponse. Je décidai d'essayer l'autre porte, que
je heurtai trois fois du poing. A l'intérieur, on pouvait entendre une radio
réglée à plein volume sur l’émission «Moments de Réflexion avec le père Martin
Calzado».
    La porte
me fut ouverte par une dame en robe de chambre rembourrée à carreaux turquoise,
des pantoufles aux pieds et un casque de bigoudis sur la tête. Dans la
pénombre, j'eus l'impression de voir un scaphandrier. Derrière elle, la voix de
velours du père Martin Calzado consacrait quelques commentaires aux produits de
beauté Aurorín qui parrainaient l'émission, produits particulièrement appréciés
des pèlerins de Lourdes et souverains contre les boutons et autres bourgeonnements
disgracieux.
    – Bonjour.
Je cherche Mme Monfort.
    –
Nurieta ? Vous vous trompez de porte, jeune homme. C'est en face.
    –
Excusez-moi. J'ai frappé, mais personne n'a répondu.
    – Vous n 'êtes pas un créancier ? demanda abruptement
la voisine, avec la méfiance due à une longue ex périence.
    – Non. Je viens de la part du père de Mm e Monfort.
    – Ah bon ! Nurieta
est en bas, elle lit. Vous ne l'avez pas aperçue en
montant ?
    Redescendu dans la rue, je vis que la femme
aux cheveux argentés qui avait un livre dans
les mains était touj ours à la même place, sur le banc. Je l'observai avec attention. Nuria Monfort était une femme plus
que séduisante, dont les formes semblaient modelées pour des gravures
de mode et des photos artistiques, et dont les yeux restaient pleins de jeunesse. Je lui donnai la
quarantaine, en me fondant sur les mèches de cheveux argentées et les lignes
altérant un visage qui, dans la pénombre, aurait pu passer pour avoir dix ans
de moins.
    – Madame
Monfort ?
    Elle me
regarda comme si elle se réveillait d’une transe, sans me voir.
    – Mon nom
est Daniel Sempere. Votre père m’a donné votre adresse il y a quelques jours et
m'a dit que vous pourriez peut-être me parler de Julián Carax En entendant ces
mots, toute expression de rêverie disparut de son visage. Je devinai qu'il eût
été habile de ne pas mentionner son père.
    –
Qu'est-ce que vous voulez ? demanda-t-elle d'un air soupçonneux.
    Je

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