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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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sentis
que si je ne gagnais pas sa confiance sur-le-champ, je perdrais toutes mes
chances. La seule carte que je pouvais jouer était de dire la vérité.
    –
Permettez-moi de m'expliquer. Il y a huit ans, presque par hasard, j'ai trouvé
dans le Cimetière des Livres Oubliés un roman de Julián Carax que vous y aviez
caché dans le but d'éviter qu'un homme qui se fait appeler Laín Coubert ne le
détruise.
    Elle me
regarda fixement, immobile, comme si elle craignait que le monde ne s'écroule
autour d'elle.
    – Je ne
vous prendrai que quelques minutes, ajoutai-je. Je vous le promets.
    Elle
acquiesça, résignée.
    – Comment
va mon père ? demanda-t-elle, en fuyant mon regard.
    – Bien. Il
vieillit. Vous lui manquez beaucoup.
    Nuria
Monfort laissa échapper un soupir que je ne sus pas déchiffrer.
    – Il vaut
mieux que vous montiez chez moi. Je ne veux pas parler de ça dans la rue.

 
     
     
     
     
    7
     
     
     
     
    Nuria Monfort vivait dans l'ombre. Un étroit couloir amenait à une salle
de séjour qui servait à la fois de cu isine, de bibliothèque
et de bureau. Au passage, je pus entrevoir une
chambre à coucher modeste, sans fenêtres. C'était tout. Le reste du
logis se limitait à un cabinet de toilette minuscule,
sans douche ni robinet, par lequel pénétraient toutes
sortes d'odeurs, de celles des cuisines du bar situé sous
l'appartement aux relents de tuyaute ries et de canalisations
vieilles d'environ un siècle. Ce logement demeurait
dans une perpétuelle pénombre, îlot d 'obscurité
entre des murs dont la peinture s'était effacée. Il sentait
le tabac brun, le froid et l'absence. Nuria Monfort m'observait tandis que je feignais de ne pas prêter attention à l’état d’abandon de son gîte.
    – Je descends lire dehors parce qu'il n'y a presque pas de lumière ici. Mon mari m'a promis de m'offrir une lampe quand il rentrera.
    – Votre
mari est en voyage ?
    – Miquel
est en prison.
    –
Pardonnez-moi, je ne savais pas...
    – Vous
n'aviez aucune raison de savoir. Je n'ai pas ho nte de le dire, parce que mon mari n'est pas un criminel. La
dernière fois qu'ils l'ont emmené, c'était pour avoir imprimé des tracts du syndicat de la métallurgie.
Ça fait maintenant deux ans. Les voisins le croient en Amérique. Mon père ne
sait rien non plus, et je n'aimerais pas qu'il soit au courant.
    – Soyez
tranquille. Ce n'est pas de moi qu'il l’apprendra, la rassurai-je.
    Un silence
tendu s'installa, et je pensai qu'elle voyait en moi un espion d'Isaac.
    – Ce doit
être dur de tenir le coup toute seule, dis-je bêtement, pour remplir ce vide.
    – Ce n'est
pas facile. Je m'en sors comme je peux grâce aux traductions, mais avec un mari
en prison, ça ne suffit pas. Les avocats m'ont saignée à blanc et je suis
endettée jusqu'au cou. Traduire rapporte presque aussi peu qu'écrire.
    Elle
m'observa comme si elle attendait une réponse. Je me bornai à sourire
docilement.
    – Vous
traduisez des livres ?
    – Non,
plus maintenant. Je traduis des formulaires, des contrats et des documents de
douane, c'est beaucoup mieux payé. Traduire de la littérature rapporte des
clopinettes, même si c'est un peu plus rémunérateur que d'en écrire. Les
voisins ont tenté de me faire partir à plusieurs reprises. Sous prétexte que je
suis en retard pour payer les charges. Pensez donc, je parle plusieurs langues
et je porte un pantalon. Il y en a qui m'accusent de tenir ici une maison de
rendez-vous. Si au moins c'était vrai...
    J'espérai
que, dans l'ombre, elle ne me verrait pas rougir.
    –
Excusez-moi. Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça. Je vous choque.
    – C'est ma
faute. C'est moi qui vous ai questionnée.
    Elle
éclata d'un rire nerveux. La solitude qui se dégageait de cette femme était
dévorante.
    – Vous
ressemblez un peu à Julián,
dit-elle soudain. Dans la manière de regarder et de se tenir. Il faisait comme
vous. Il se taisait, en vous regardant sans qu'on puisse savoir ce qu'il
pensait, et moi, comme une idiote, j e lui
racontais des choses que j'aurais mieux fait de garder pour moi... Je peux vous
offrir quelque chose ? Un café au lait ?
    – Non,
merci. Je ne veux pas vous déranger.
    – Vous ne
me dérangez pas. J'allais en faire un pour moi.
    Quelque
chose me fit subodorer que ce café au lait constituait tout son repas de midi.
Je déclinai de nouveau l'invite, et je la vis se diriger vers un coin de la
pièce où se trouvait un petit
réchaud

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