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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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fugue, Pepet Guardiola. Là-dessus , le célèbre
inspecteur, qui, semble-t-il, s'était envoyé derrière la cravate
douze cafés arrosés d'anis depuis le dîner, a décidé de
prendre l'affaire en main. Après avoir
étudié les circonstances aggravantes du délit , Fumero a notifié au
sergent de garde qu'une telle (et malgré la
présence d 'une
demoiselle, je cite le v ocable dans sa
plus stricte littéralité à cause de sa valeur documentaire
dans mon exposé des faits) tantouzerie méritait
un châtiment exemplaire et que l'horloger (entendez M.
Federico Flaviá i Pujades, célibataire et natif de
la localité de Ripollet) devait, pour son bien et celui de l 'âme
immortelle des garnements mongoloïdes dont la présence
dans l'affaire était accessoire mais déterminante, passer la
nuit dans la cellule commune des sous -sols de
l'institution en compagnie d'une assemblée choisie de
voyous. Comme vous le savez probablement, ladite
cellule est célèbre dans l'élément criminel pour ses
conditions sanitaires inhospitalières et précaires, et l'intrusion
d'un citoyen respectable au milieu de ses hôtes
habituels y est toujours un motif d'allégresse par ce
qu'elle comporte de ludique et d'inédit dans la monotonie de la vie carcérale.
    Arrivé à cet
endroit de son récit, M. Anacleto procéda à une
brève mais saisissante description du caractère de la victime,
par ailleurs bien connu de tous.
    – Point
n'est nécessaire de vous le rappeler, M. Flaviá i Pujades est doté d'une
personnalité fragile et délicate, pétrie de bonté et de charité chrétienne. Si
une mouche vient à se
glisser dans l'horlogerie, il ne la tue pas à coups de tapette, mais ouvre
grandes les fenêtres pour que l’insecte, créature du Seigneur, soit restitué
par le courant d'air à l'écosystème. M. Federico, je l'atteste, est un homme de
foi, pieux et très présent dans les activités de la paroisse, mais qui, hélas,
a dû affronter toute sa vie un ténébreux appel du vice qui l'a jeté plus d'une
fois dans la rue déguisé en femme. Son habileté à réparer aussi bien les
montres que les machines à coudre a toujours été proverbiale, et sa personne
était appréciée de tous ceux qui le connaissaient, même si certains ne voyaient
pas d'un bon œil ses occasionnelles escapades nocturnes avec perruque, peignes
et robes à pois.
    – Vous
parlez de lui comme s'il était mort, risqua Fermín, consterné.
    – Mort,
non, grâce à Dieu.
    Je
respirai, soulagé. M. Federico vivait avec une mère octogénaire et sourde comme
un pot, connue dans le quartier sous le nom de La Pépita et célèbre
pour ses flatuosités qui faisaient chuter de son balcon les moineaux étourdis
par leur force cyclonique.
    – La
Pépita, poursuivit le professeur, était loin d'imaginer que son Federico avait
passé la nuit dans une cellule immonde, où un orphéon de maquereaux et de
virtuoses du couteau lui avait arraché un à un ses falbalas de cocotte pour lui
faire subir les derniers outrages pendant que les autres prisonniers chantaient
joyeusement en chœur : « Pédé, pédé, bouffe ta merde de pédé. »
    Un silence
sépulcral s'installa entre nous. Merceditas sanglotait. Fermín voulut la
consoler en la prenant dans ses bras, mais elle se cabra sauvagement.

 
     
     
     
    6
     
     
     
     
    – Imaginez
le tableau, conclut M. Anacleto à la consternation générale.
    L’épilogue
n'était pas plus réconfortant. A la mi-journée, un fourgon gris de la
préfecture avait jeté M. Federico devant la porte de son domicile. Ensanglanté,
les vêtements en loques, il avait perdu sa perruque et tous ses bijoux
fantaisie. On lui avait uriné dessus, et son visage était couvert d'hématomes
et de plaies. Le fils de la boulangère l'avait trouvé recroquevillé contre le
portail, tremblant et pleurant comme un enfant.
    – On n 'a pas le
droit de faire ça, non monsieur ! commenta Merceditas plantée sur le seuil
de la librairie, loin des mains de Fermín. Le pauvret, lui qui est bon comme le
pain blanc et qui ne se mêle jamais des affaires des autres. Et si ça lui plaît
de s'habiller en pharaone et d'aller pousser la chansonnette ? Qui ça
gêne ? Les gens sont vraiment méchants.
    M.
Anacleto se taisait, les yeux baissés.
    –
Méchants, non, rectifia Fermín. Imbéciles, ce qui n’est pas la même
chose. La méchanceté suppose une détermination morale, une intention et une
certaine réflexion. L'imbécile, ou la brute, ne

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