L'ultime prophétie
souvenant du moment où Tom avait
placé l'épée dans sa main et lui avait dit ce qu'elle représentait. Tout était
ensuite très flou. Elle avait peu de souvenirs de la bataille qui avait suivi
et n'en savait que ce qu'on lui avait raconté : elle avait commandé une unité
d'hommes contre une attaque par le flanc de l'ennemi et les avait tous menés à
la victoire. Et plus tard, d'un seul mot, elle avait fait cesser les combats.
Une peur immense la saisit.
— Qu'est-ce que tout cela veut dire ? Qu'attend- t-on de
moi ?
— Je l'ignore.
— Les prophéties. Si la Dame Filandière y est évoquée, elles doivent aussi contenir une explication, des indices !
— N'avez-vous pas compris à ce stade à quel point les
prophéties ressemblent davantage à des énigmes qu'à des prédictions ? Je ne
puis vous dire ce que vous devez faire. Je ne puis vous dire non plus comment
le faire. Vous devez avoir foi, ma dame, que le jour venu, vous saurez.
— La foi, toujours la foi.
— Je sais.
Il regarda derrière elle, là où des feux de camp éclairaient
la prison.
— Eux aussi doivent trouver le moyen de croire. Car la
foi, je pense, est la seule chose qui puisse nous sauver des ruses d'Ardred.
Elle se détourna et regarda elle aussi au loin, songeant aux
hommes assis autour de ces feux, pris de désespoir et peut-être encore amers
face à la défaite, un sentiment qu'aucun Bozandari n'avait encore éprouvé.
— Oui-da, dit-elle, le cœur lourd et plein d'appréhension.
Ils doivent eux aussi avoir foi. Cela sera sans doute la chose la plus
difficile au monde.
Cette nuit-là, dans ses rêves, le loup des neiges lui
apparut de nouveau, comme il l'avait fait à deux reprises dans la réalité. Il
hurla, un hurlement de douleur et de chagrin qui lui donna la chair de poule,
puis parut lui faire signe de le suivre.
Au milieu des brumes de son rêve, elle lui emboîta le pas.
Comme dans tout rêve, elle ne se demanda jamais pourquoi elle le suivait, ni ce
que le loup voulait. Elle n'éprouva pas la moindre crainte.
La brume se dissipa peu à peu et elle put discerner les bois
qu'ils traversaient. Le loup se trouvait juste devant elle, ralentissant son
pas agile et allongé chaque fois que c'était nécessaire pour lui permettre de
le rattraper.
Ils arrivèrent enfin dans une clairière. Au-dessus de leurs
têtes, le ciel était constellé d'étoiles. Puis, autour d'elle, Tess entendit
des murmures. Elle n'en saisissait pas le sens mais comprit qu'elle se trouvait
au centre d'une sorte d'assemblée invisible.
Jusque-là, elle n'avait rien ressenti ; mais, peu à peu, son
malaise grandit. Elle avait l'impression d'être jugée. Si le loup resta auprès
d'elle, sa présence ne la réconfortait guère. Elle songea à fuir cette
clairière hantée et à cet instant précis, les voix se turent.
Une femme sortit de l'ombre, le visage dissimulé par une
capuche.
— Beaucoup de tes sœurs sont parties avant toi, dit-elle
doucement. Jamais notre fardeau ne fut comparable à celui qui t'incombe. Mais
chacune d'entre nous, à sa manière, a préparé la voie qui t'attend en priant.
Nous ne pouvons pas te dire ce qui va se passer car il s'agit du jeu des dieux
et nous sommes liées par leurs règles. Mais nous serons à tes côtés, petite
sœur. Si tu entends un murmure dans l'air, écoute nos voix. La seule chose qui
nous sépare est un voile et ce voile peut être déchiré.
Avant que Tess pût l'interroger, la femme avait disparu.
Pendant une seconde ou deux, elle continua d'entendre le murmure serein de sa
voix.
Puis elle se retrouva seule dans la clairière avec le loup
des neiges.
Il frotta son museau humide et froid contre sa main. Elle
cligna des yeux...
Et poussa un cri de surprise. Car elle n'était plus du tout
dans la clairière et il ne faisait plus nuit.
L'aube perçait au-dessus des montagnes à l'est, les
couronnant de rouge, de rose et d'orange, même si le soleil n'était pas encore
visible à l'horizon.
Et elle n'était plus dans son lit. Elle se tenait à mi-chemin
entre Anahar et la prison qui abritait les soldats bozandaris.
L'air froid du matin lui piquait les joues ; elle avait
pourtant étonnamment chaud. Elle baissa les yeux et vit qu'elle portait ses
beaux vêtements de laine blanche et ses bottes, ainsi qu'un manteau sur les
épaules. S'était-elle vêtue pendant son sommeil ?
Un bruit derrière elle la fit sursauter et, se retournant,
elle fut surprise de
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