L'ultime prophétie
esclave anari l'était au milieu d'un marché
bozandari.
Cependant, elle ignorait toujours sa véritable identité.
L'amnésie qui la frappait avait effacé une bonne partie de sa mémoire et même
si le temple d'Anahar lui avait révélé des éléments de son passé, il n'avait
pas comblé tous les blancs.
Ce soir, elle avait fait un effort particulier pour son
apparence : ses cheveux blonds étaient plus longs que le jour où elle s'était
réveillée, la mémoire aussi vide que celle d'un nouveau-né, et elle y avait
tressé les rubans bleus et les breloques dorées que Cilla lui avait prêtés.
Elle portait une robe bleue plutôt que sa tenue blanche habituelle, une robe
qui avait été cousue pour elle à partir d'une étoffe délicate et brillante qui
avait appartenu à l'armée de Bozandar. Un long ruban doré ceignait sa poitrine,
son buste et sa taille. Elle arborait également de fines chaussures dorées.
Elle était vêtue comme une reine, songea-t-elle, pour une
occasion heureuse sur laquelle planait l'ombre de la mort.
Car la mort reviendrait. Elle le savait au plus profond de
son être. Bien trop de vies avaient été fauchées déjà et un mal bien trop grand
demeurait.
Elle évita de toucher les murs du temple. Ce soir, elle
n'avait pas besoin qu'il lui livrât ses secrets et elle craignait que les
pierres le fissent si elle les effleurait.
Une fois à l'extérieur, elle parcourut la foule des yeux, à
la recherche d'Archer. Il semblait toujours à part, différent, même auprès de
ses compagnons les plus proches. Elle ne fut donc guère surprise de le trouver
à l'écart de la fête, dans un coin sombre de la place. Il était appuyé contre
un bâtiment aux couleurs de l'arc-en-ciel, les bras croisés sur son large
torse. De toutes les personnes présentes ce soir-là, Archer était le seul à
porter du noir. Seul endeuillé au sein de la liesse, il savait mieux que quiconque
ce qui les attendait.
Ses yeux gris observaient, attentifs, les danseurs, les
jongleurs et les musiciens. Il alla jusqu'à sourire lorsque Tom et Sara
sortirent du temple, mariés enfin.
Mais ce sourire était un sourire de façade.
Le cœur serré par cette affliction, Tess se fraya un chemin
dans la foule afin de le rejoindre. Elle prit sa main à la peau hâlée et
balafrée.
Il baissa les yeux quand elle lui serra doucement la main.
— Une belle soirée pour un mariage, dit-il.
— Certes, mais vous ne semblez guère joyeux. Venez, dansez
avec moi. Ayez le cœur plus léger, quelques heures seulement.
— Le vôtre est-il plus léger, ma dame ?
Après un court instant, elle baissa les yeux devant son
regard perçant.
— Nous savons tous ce qui s'est produit, Archer,
murmura-t-elle. Ses mots étaient à peine audibles dans la musique et les rires.
Et nous savons tous ce qui nous attend, ajouta-t-elle.
— Je doute fort que quiconque sache ce qui nous attend. Ce
sera bien pire que ce que nous avons traversé jusqu'ici.
— Oui-da. Je fais des rêves, des rêves terribles... Son
expression s'assombrit mais elle le regarda ensuite avec un sourire déterminé.
Quel que soit cet avenir, quelle que soit la menace qui plane sur nous, les
dieux ont décidé que nous devions vivre. Alors, profitons de cette soirée.
Après un bref silence, il hocha la tête et l'accompagna au
centre de la place. Tess n'avait aucun souvenir d'avoir dansé un jour mais,
avec l'aide d'Archer, elle maîtrisa vite quelques pas simples et tourbillonna
dans ses bras parmi un cercle de danseurs qui entourait un cercle intérieur
allant dans le sens opposé.
Il était impossible d'éprouver de la tristesse alors que ses
pieds et son corps dansaient au rythme d'une musique aussi gaie. Archer finit
par se dérider et ses pas se firent plus vifs. Tess permit au voile obscur qui
ceignait son cœur de se déchirer et se laissa aller à rire librement.
En dépit de ce que l'avenir pouvait leur réserver, la vie
leur avait accordé un répit et elle sentait qu'ils auraient tort, profondément
tort, de ne pas savourer ces rares moments de félicité.
***
L'officier supérieur Tuzza, le commandant des troupes
bozandaris, entendait la clameur de la fête depuis le centre de la vallée. Ses
hommes et lui y étaient prisonniers, derrière des barrières, sous la
surveillance de gardes anari. Ils avaient essuyé une défaite contre les Anari
trois semaines auparavant et pansaient toujours leurs
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