Madame Catherine
l’hérésie : la belle affaire...
— Chez mon propre tailleur ! Si près de nous !
— Profitons-en pour lui prêcher la bonne parole !
— La bonne parole ?
— Vous souvenez-vous de ce que disait, pas plus tard qu’hier, le cardinal de Lorraine ? « C’est par la raison, plus que par la force, que nous ramènerons les brebis égarées jusqu’au bercail. »
Diane déposa un baiser sur les lèvres royales.
— Montrez-vous bon pasteur : convoquez ce méchant tailleur et faites-lui savonner la tête par une de nos grandes consciences. Pourquoi pas l’évêque de Mâcon ? Je gage qu’il y ferait merveille.
— Vous croyez ?
Il soupirait de plus belle.
— J’avoue que l’idée n’est point sotte, et que je serais curieux de voir un de ces esprits forts confondu par un bon prêtre.
— Fort bien. Montons cela au plus vite !
La semaine suivante, tout ce qui comptait à la Cour s’entassait dans la chambre de la duchesse de Valentinois pour assister à la joute oratoire entre un prélat de haut vol, Mgr du Châtel, et ce fameux ouvrier tailleur dont l’hérésie avait froissé le roi. La pièce était bondée, il y faisait chaud, et l’on tenta plusieurs fois d’ouvrir les fenêtres vitrées pour laisser entrer un peu d’air ; mais la foule, pesant sur les battants, rendait l’opération impossible.
C’est Henri lui-même qui lança le débat, donnant la parole à l’évêque pour une entrée en matière qui, d’emblée, prit le tour d’une homélie dans les formes. Le prélat, trop heureux sans doute de prêcher devant la Cour, avait soigné ses effets. Il évoqua pêle-mêle différents sacrements, le pèlerinage à la Vierge, les miracles des saints, le pape, vicaire de Dieu, et les vertus de la génuflexion...
— Quelle soupe nous servez-vous là ? finit par l’interrompre le tailleur, sur un ton peu usité à la Cour.
— Mon fils, se raidit l’évêque, le respect que vous devez à ma robe vous interdit...
— Je suis venu ici débattre de la foi, et point épiloguer sur vos jupons brodés !
L’audience pouffa malgré elle, malgré le roi. Le prélat, désarmé par tant d’effronterie, ne sut reprendre le fil de son bel exposé. Et c’est ce qui donna l’avantage au « religionnaire ».
— Mon bon sire, reprit le petit tailleur en tournant vers le roi un oeil sombre et vif, il est temps que Votre Majesté admette que tous ces jeux, toutes ces grand-messes, tous ces banquets enfin que les gens d’Église, obéissant au pape, multiplient partout à dessein, ne sont que des moyens voulus par Satan pour détourner les gens de la seule vérité : celle des Évangiles.
— Il suffit ! coupa le roi.
Henri souhaitait rendre la parole à l’évêque, mais celui-ci, décidément troublé, ne trouva rien de mieux à dire que « Pardonnez-lui, Seigneur ! ». Alors Diane, qui voyait avec épouvante se profiler une humiliation nouvelle, digne du coup de Jarnac {1} , sortit de sa réserve première et, s’approchant de l’insolent jusqu’à le dévisager, lui demanda comment il osait, lui, simple ouvrier, tenir tête à des docteurs et à des princes de l’Église qui, depuis tant de lustres, compulsaient les Écritures.
Le tailleur l’arrêta net. D’une voix soudain forte et dure, il s’en prit nommément à la duchesse.
— Madame, lança-t-il de tout son coeur, contentez-vous d’avoir infesté la France de votre venin, sans venir mêler votre ordure à des choses aussi saintes, aussi sacrées que la Vraie Religion de Notre Seigneur Jésus-Christ !
Après un instant de silence, une sourde rumeur envahit la chambre. Les courtisans n’étaient pas habitués à tant de rudesse, et dans leurs yeux, sur leurs traits, se lisait un mélange d’effroi, d’opprobre et, visiblement, d’excitation...
Le roi serra les mâchoires. Il venait de recevoir cette diatribe comme une atteinte personnelle, comme le plus cinglant des coups portés à sa majesté. Il s’était raidi, arborait un teint rouge sombre, mais s’efforçait malgré tout de conserver un air digne.
— Qu’on s’empare de lui, finit-il par ordonner d’une voix atone et tremblante, où affleurait la colère.
On évacua « le suppôt de l’hérésie » – comme devait le qualifier plus tard l’évêque de Mâcon... Désespérément, Diane de Poitiers fit assaut de plaisanteries, en vue de minimiser l’impact effroyable de l’injure qu’elle venait d’essuyer
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