Madame Catherine
cet oeil fixe comme le regard de Dieu sur Caïn. Aussi le jura-t-il solennellement : jamais plus on ne l’obligerait à honorer de sa présence le plus petit autodafé.
Chapitre I
La belle Écossaise
(Été 1550)
« La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne d’Henri second. Jamais cour n’a eu tant de belles personnes et d’hommes admirablement faits » écrivait, au siècle suivant, Mme de La Fayette. J’ai voulu, dès ce premier chapitre, rendre sensible le contraste entre l’opulence de cette cour et la dureté des temps.
L’affaire de la liaison du roi avec lady Fleming est authentique ; mais c’est moi qui ai fait de Caboche un espion des Guises et de Diane. On ne sait presque rien, en vérité, de ce personnage incident de l’Histoire – même son prénom nous est inconnu.
Château de Saint-Germain-en-Laye.
Le nourrisson, tout frais et rose, babillait dans son berceau de broderie, sous un dais que supportaient des Renommées {3} de bois doré. Il avait repoussé son drap et s’amusait avec un de ses pieds, qu’il agitait par saccades. Charles-Maximilien {4} était le cinquième enfant du couple royal ; sa mère, la reine Catherine, l’avait mis au monde quelques jours plus tôt, à l’issue d’un long et pénible travail. Aussi devait-elle garder le lit.
— N’aurait-il pas un peu les yeux du roi ? demanda le connétable Anne de Montmorency, penché sur le petit être à la façon de l’ogre des contes.
Il se ravisa.
— Non, l’on ne saurait dire...
A près de soixante ans, le vieux dignitaire, alourdi par son embonpoint, cultivait une apparente muflerie pour mieux dissimuler sa finesse et lui conserver une efficacité intacte. Du reste la reine, habituée à ses fausses maladresses, ne releva même pas celle-là.
— Combien d’enfants Mme de Montmorency vous a-t-elle donnés ? demanda Catherine.
— Douze, ma foi ! Je veux dire : douze qui auront vécu et qui, d’ailleurs, sont encore tous de ce monde. La petite dernière n’a pas quatre ans...
Il se signa, et s’approchant du lit de la souveraine, eut le geste aimable de rattacher une embrasse défaite. A la vérité, le connétable n’était pas venu seulement pour la courtoisie ; il avait à se plaindre, une fois de plus, de la favorite en titre, et savait qu’il trouverait chez sa rivale naturelle une oreille complaisante.
— Voilà maintenant qu’elle s’est cassé la jambe, lâcha-t-il sans avoir à nommer la personne.
— A Romorantin, n’est-ce pas ? Il faut dire, aussi : monter encore à son âge !
— Oh, elle nous enterrera tous. Enfin... Vous, peut-être pas... Songez donc que je la connais depuis bientôt trente ans !
Il soupira.
— Trente ans durant lesquels elle n’a du reste pas changé, pour ainsi dire.
— Peut-être, mais à présent, elle ne tient plus en selle.
La reine s’en voulut de ce qui aurait pu passer pour de la méchanceté. Le connétable saisit la balle au bond.
— Justement : je me demandais si le moment ne serait pas venu de désarçonner tout de bon cette amazone un peu mûre. Peut-être pourrait-on trouver moyen de lui faire perdre l’équilibre...
Catherine de Médicis dévisagea Montmorency comme s’il venait seulement d’entrer. Elle s’apprêtait à l’encourager dans ses mauvaises intentions quand une dame d’honneur survint, tout émue, pour annoncer la reine d’Ecosse et sa suite. Le visiteur s’assombrit.
— Aïe ! fit-il. Je n’ai même pas le temps de m’éclipser !
La petite Marie Stuart {5} entra dans la chambre, sûre d’elle et gracieuse du haut de ses huit ans à peine. Elle se fendit d’un adorable sourire et, limitant l’étiquette à presque rien, esquissa une légère courbette avant de venir embrasser tout bonnement celle qu’on lui assignait pour belle-mère. Car depuis son arrivée en France, deux ans plus tôt, la jolie Marie était fiancée au dauphin François, plus jeune qu’elle encore, et nettement moins déluré.
— Comment se porte ma bonne-mère ? demandat-elle sans une pointe d’accent.
— Je vous l’ai dit cent fois : c’est à moi à vous parler d’abord, fit remarquer la reine.
— Pardon : je suis tellement impatiente de vous savoir remise !
L’assistance applaudit à ce mot ; il est vrai qu’elle était tout acquise : hormis ses nains et demoiselles d’honneur, Marie
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