Marcel Tessier racontre notre histoire
«Si vous parvenez à conquérir le pouvoir, comment allez-vous concilier vos attitudes centralisatrices à Ottawa avec la défense de la souveraineté provinciale à Québec?
— Rien de plus simple: à Ottawa, je m’acquittais d’un mandat fédéral et je soutenais une politique canadienne; si je suis élu à Québec, j’aurai reçu un mandat provincial et par conséquent, je plaiderai la cause de l’autonomie.»
Cette réponse avait laissé Chaloult perplexe: «Je ne puis concevoir qu’on puisse défendre ou non l’autonomie, suivant qu’on représente notre État à Ottawa ou à Québec…»
Jean Lesage s’entoure d’une équipe forte et transparente. Il va chercher des personnalités compétentes comme René Lévesque et Paul Gérin-Lajoie, qu’il fait ministres. Bien épaulé, le nouveau premier ministre défend avec un courage remarquable nos droits constitutionnels auprès de ses anciens amis d’Ottawa. Connaissant les problèmes financiers de sa province, il s’y attaque sans tarder: il faut rattraper le temps perdu, restructurer le Québec. On recrute une batterie de fonctionnaires triés sur le volet par le truchement de concours. On leur offre un salaire de niveau supérieur et on leur permet même de se syndiquer.
Pour «l’équipe du tonnerre», comme on l’appelle, l’État doit devenir le maître d’œuvre du changement économique. On crée le Conseil d’orientation économique, la Société générale de financement, la Caisse de dépôt et de placement, Sidbec, Soquem, etc. Avec René Lévesque comme capitaine, le gouvernement de Jean Lesage nationalise des compagnies privées d’électricité; Hydro-Québec, à partir de 1963, devient un puissant moteur de développement et un symbole de fierté pour les Québécois. Une nouvelle classe sociale voit le jour. Des gens d’affaires poussent dans l’industrie et les finances. Grâce aux politiques financières et au nationalisme québécois, de puissants groupes financiers de chez nous reprennent en main une partie de notre économie.
Si l’on veut qu’une société se développe, il faut former des «développeurs». Lesage se tourne donc vers l’éducation. Après avoir créé la Commission d’enquête Parent, on réforme. Sous la gouverne de Paul Gérin-Lajoie, le ministère de l’Éducation est mis sur pied en 1964. On nationalise l’ensemble du système. On travaille à former des maîtres plus compétents, on établit la gratuité scolaire et on prévoit pour 1967 l’implantation des cégeps, ainsi que celle de l’Université du Québec pour 1968.
L’État prend la responsabilité des services sociaux. En 1961, le gouvernement Lesage instaure l’assurance-hospitalisation, à laquelle s’ajoutera l’assurance-maladie en 1970. Entre-temps, en 1964, on a aussi établi un régime de rentes.
Je pourrais écrire des pages et des pages rien que sur cette période effervescente. Les lettres et les arts sortent de l’ombre, des créations fusent de toutes parts. L’équipe du tonnerre de Jean Lesage va marquer profondément le Québec moderne. Ses politiques, révolutionnaires pour l’époque, auront fait exploser la fierté des Québécois. En 1966, cependant, l’Union nationale menée par Daniel Johnson réussit à reprendre le pouvoir. Son slogan «Égalité ou indépendance» réussit à renvoyer Jean Lesage dans l’opposition. Il renonce à la vie politique en 1970 et meurt en 1980, à l’âge de 68 ans.
77 LA RÉVOLUTION TRANQUILLE
C ’est en relisant Léandre Bergeron, et son Petit manuel d’histoire du Québec, que je me suis aperçu que la Révolution tranquille du Québec ne l’est pas tout à fait après 1960. Le Québec est en ébullition. Étudiants, ouvriers, policiers marchent dans les rues de Montréal. La révolte gronde. Le Front de libération du Québec (FLQ) fait des siennes en 1963; ces jeunes, désireux de se donner un nouveau pays, s’imaginent que le peuple colonisé et habité par la peur va les suivre. La reine d’Angleterre, de passage à Québec le 10 octobre 1964, est très mal accueillie par ses sujets. Le ministre Wagner lance ses policiers dans la foule; c’est le «samedi de la matraque». En 1966, Pierre Vallières et Charles Gagnon quittent le Mouvement de libération populaire et rejoignent les rangs du FLQ. D’autres militent au sein du Parti socialiste du Québec où Michel Chartrand essaie de regrouper les forces vives du Québec. Pierre Bourgault dirige le
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