Marie
bouclée duvetait ses joues et son
menton. Une barbe d’adolescent qui ne devait pas, en plein jour, le vieillir
beaucoup.
Brusquement,
sa main s’ouvrit. Dans sa paume, l’or d’un écusson brilla sous l’éclat de la
lune. Une forme bien reconnaissable : un aigle aux ailes déployées, la
tête de biais, le bec puissant et menaçant. L’aigle des Romains. L’aigle d’or
fixé aux hampes des enseignes qu’arboraient les légions.
— Je
l’ai pris dans un de leurs entrepôts. On a mis le feu au reste avant que ces
andouilles de mercenaires se réveillent, chuchota Barabbas avec un ricanement
de fierté. On a aussi eu le temps de récupérer deux ou trois boisseaux de
grains. Ce n’est que justice.
Miryem
contemplait l’écusson avec curiosité. Elle n’en avait jamais vu de si près.
Elle n’avait même jamais eu autant d’or sous les yeux.
Barabbas
referma la main, glissa l’écusson dans la poche intérieure de sa tunique.
— Ça
vaut cher, grogna-t-il.
— Que
vas-tu en faire ?
— Je
connais quelqu’un qui saura le fondre et le transformer en bon or. Ça sera
utile, déclara-t-il, mystérieux.
Miryem
s’écarta d’un pas. Elle était partagée entre des sentiments inconciliables. Ce
garçon lui plaisait. Elle discernait en lui une simplicité, une franchise et
une rage qui la séduisaient. Du courage, aussi, car il en fallait pour
affronter les mercenaires d’Hérode. Mais elle ignorait si tout cela était
juste. Elle ne connaissait pas assez les vérités du monde, de la justice et de
l’injustice pour trancher.
Ses
émotions et son affection la portaient naturellement vers l’enthousiasme de
Barabbas, vers sa colère contre les horreurs et les humiliations que
subissaient quotidiennement, dans le royaume d’Hérode, même les plus jeunes
enfants. Mais elle entendait aussi la voix sage et patiente de son père, et son
irrévocable condamnation de la violence.
Avec un
peu de provocation, elle déclara :
— Tu
es un voleur, alors. Barabbas, offusqué, se leva.
— Sûrement
non ! Ce sont ceux d’Hérode qui prétendent que nous sommes des voleurs.
Mais tout ce qu’on prend aux Romains, aux mercenaires ou à ceux qui se vautrent
dans les draps de roi, tout, on le redistribue aux plus pauvres d’entre nous.
Au peuple !
La colère
assourdissait sa voix. Soulignant ses mots d’un geste, il ajouta :
— On
n’est pas des voleurs, on est de la révolte. Et je ne suis pas seul. Tu peux me
croire. Je suis de la révolte. Ce soir, les soldats ne couraient pas qu’après
moi. Pour l’attaque des entrepôts, nous étions au moins trente ou quarante.
Elle s’en
doutait avant même qu’il l’avoue.
« Ceux
de la révolte » ! Oui, ainsi les appelait-on. Et, le plus souvent,
pas pour en dire du bien. Son père et ses compagnons charpentiers de Nazareth
grondaient souvent contre eux. C’étaient des inconscients, des dangereux que
leurs parents auraient dû garder enfermés à double tour. À force d’exciter les
mercenaires d’Hérode – et pour quel gain ? –, un jour, ils
seraient la cause du massacre de tous les villages de la région. Une
révolte ! Une révolte de faibles, d’impuissants, que le roi et Rome
materaient pour de bon quand cela leur chanterait.
Oh !
il y avait de quoi se révolter. Le royaume d’Israël suait le sang, les larmes
et la honte. Hérode était le plus cruel, le plus injuste des rois. Vieux, à
l’approche de la mort, il ajoutait la folie à la cruauté. Il se montrait
parfois plus mauvais que les Romains eux-mêmes, pourtant des païens sans âme.
Quant aux
pharisiens et aux sadducéens qui tenaient le temple de Jérusalem et ses
richesses, ils ne valaient guère mieux. Ils courbaient honteusement l’échine
devant les caprices du roi. Ils ne songeaient qu’à conserver l’apparence du
pouvoir et à édicter des lois qui leur permettaient d’augmenter leurs
richesses, à défaut de promouvoir la justice.
La
Galilée, loin au nord de Jérusalem, était rompue et ruinée par les impôts qui
enrichissaient Hérode, ses fils et tous ceux qui buvaient la honte dans leurs
mains.
Oui, Yhwh,
comme Il l’avait fait plus d’une fois depuis l’alliance passée avec Abraham, se
détournait de Son peuple et de Son royaume. Mais fallait-il pour autant ajouter
la violence à la violence ? Etait-il sage, quand on est faible, de peiner
à égratigner le fort, au risque de provoquer une tuerie ?
— Mon
père dit que
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