Mathilde - III
effarée et fort peinée. Pourtant, elle
résolut de ne point trahir son amie et vint plus d’une fois à son
aide sans qu’elle le sût lorsque le Dr Jacob s’alertait de l’état
de sa patiente au point de vouloir la mettre en maison de repos et
de la faire examiner par un confrère psychiatre.
Par amitié et réelle affection, l’Américaine la protégea, ainsi
que les enfants, avec la complicité des domestiques, du mieux
qu’elle le pût. Mais ce fut avec un réel soulagement qu’elle vit
arriver les vacances et le départ pour le domaine du Berry .
Miss Sarah y resta une quinzaine de jours avant de se rendre en
Italie puis en Allemagne. Cependant, si elle laissa Mathilde aux
soins de sa belle-sœur et de son mari, elle ne partit pas
rassérénée pour autant. Bien au contraire, les révélations que lui
avait faites Éléonore l’avaient ébranlée profondément et elle
craignait, tout comme cette dernière, que Mathilde ne fût atteinte
du même mal que sa grand-mère maternelle qui l’avait en grande
partie élevée.
N’en entendant jamais parlé qu’au passé, Sarah Dufort était
d’ailleurs convaincue que celle-ci était décédée. En fait, après la
mort accidentelle de son mari – le grand-père de Mathilde – le
marquis Louis-Octave de Mauclair de Montélian en 1909, celle-ci
vivait en recluse dans son hôtel particulier de Bourges, avec pour
seule compagnie deux domestiques presque aussi âgés qu’elle qui
venait d’atteindre les soixante-dix-huit ans.
Du jour au lendemain, elle n’avait plus voulu voir personne et
avait fermé sa porte au monde, même à sa petite-fille Mathilde.
Attendant,
elle aussi,
le retour de son mari dont elle
avait pourtant veillé la dépouille.
Cela frappa tant l’esprit de l’Américaine qu’elle relata par le
détail cette étrange coïncidence au Dr Jacob lorsqu’elle revint à
Paris après son séjour à l’étranger, car elle y voyait une cause
possible de l’« état » de Mathilde. Ce lui était si
évident qu’elle prit sur elle-même de révéler – de
trahir
– le « secret » que Mathilde lui avait confié sous le
sceau de la confidence.
Le Dr Jacob fut grandement soulagé d’apprendre ces faits car le
« cas Mathilde » lui faisait douter de ses capacités
médicales. Il félicita également Sarah Dufort pour la
pertinence de son intuition quasi professionnelle et la conforta
dans son raisonnement.
Il était clair que Mathilde avait été ébranlée à la fois par le
comportement de rejet de sa grand-mère à son égard, alors qu’elle
la considérait comme sa propre mère, et la croyance en la
« résurrection » de son mari, le marquis de Mauclair de
Montélian. Victime elle-même d’un deuil identique – la perte
brutale d’un mari –, Mathilde avait reproduit inconsciemment le
comportement de sa grand-mère qu’elle adorait tant, sans, toutefois
– et fort heureusement –, se couper totalement du monde.
Ayant décelé la cause de ce mal mystérieux, le Dr Jacob se
montrait confiant. Il était convaincu qu’à la mort de sa
grand-mère, Mathilde recouvrerait tous ses esprits. Le maléfice se
dénouerait alors tout naturellement.
Malheureusement, en concluait-il, il fallait attendre le décès
de l’aïeule pour que cela se produisît. Mais, malgré sa santé
chancelante, la marquise Charlotte-Henriette de Montélian de
Mauclair continua de s’attarder sur cette terre de misère dans
l’attente du retour de son mari. Pourtant, il ne fut pas nécessaire
qu’elle rendît son âme à son Créateur pour que Mathilde de La
Joyette commençât de sortir de son état neurasthénique et,
précisément, ce miracle se produisit, à l’insu de tous ceux qui
avaient souci de sa santé, au cours de cette cérémonie d’hommage
aux morts de la guerre, cela expliquant sa soudaine gaieté si
surprenante aux yeux de ses fillettes et de son beau-frère.
Mathilde venait enfin d’admettre que son mari était bien mort et
enterré alors qu’elle écoutait d’une oreille discrète le discours
soporifiques du maire.
Insidieusement, elle songea à la dernière nuit passée avec son
mari avant son départ pour la guerre. Tout d’abord elle s’étonna
qu’elle eût enfoui ce souvenir au fond de son cœur et de son âme au
point qu’elle ne le visitât point. À présent, elle se souvenait
qu’elle avait pleuré longuement bien qu’elle se fût voulue forte et
sans faiblesse. Lui prenant, le visage à deux mains –
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