Mathilde - III
à la capitale sans jamais plus donner de
nouvelles.
Son petit Émile avait été fusillé en 17. Pour l’exemple. C’était
un bon gars et il avait reçu les « dons ». C’est pour ça que
« Biquette » s’était vue rebaptisée « Émilie »
du jour au lendemain. Pour qu’il vieillisse auprès d’elle.
Augustine et Augusta ne se sentirent pleinement rassurées que
lorsque la vieille femme et sa chèvre eurent disparu à leur vue.
Elles les craignaient tout autant l’une que l’autre mais elles
avaient encore plus peur de la « sorcière » depuis que
leur cousin leur avait raconté qu’elle avait le pouvoir de
transformer les enfants en lapins rien qu’en les regardant dans le
blanc des yeux. Aussi les avaient-elles fermés bien fort quand la
vieille Épiphanie était passée auprès d’elles, prenant soin de ne
les rouvrir qu’après avoir estimé la distance suffisante pour
qu’elles fussent hors de danger.
– Que vous êtes sottes et peu charitables, mes filles ! dit
Mme de La Joyette qui n’avait pas été dupe de leur manège.
– C’est Pierre qui…, commença Augustine qui n’avait jamais eu sa
langue dans la poche depuis toute petite.
– Il suffit, ma fille, la coupa Mme de La Joyette qui avait
horreur de la manie de ses filles de se retrancher toujours
derrière leur cousin et plus encore de leur naïveté devant les
sornettes que celui-ci prenait un malin plaisir à leur débiter.
– Pierre, ajouta-t-elle en soupirant et en relevant sa voilette
de deuil qui l’agaçait, je ne suis pas toujours fière de vous. Mais
je crains fort qu’un jour ne vienne où ce seront des filles telles
vos cousines qui vous feront gober tout ce qu’elles voudront à un
point que vous ne pouvez imaginer.
Gustave Bouteux rit de bon cœur en voyant la mine étonnée du
jeune garçon qui, de toute évidence, ne pouvait comprendre le sens
exact des paroles de sa tante qui s’amusa à son tour de son
étonnement et lui ébouriffa les cheveux de sa main gantée.
Les fillettes n’en revenaient pas. Leur mère était gaie !
Ce dont elles se réjouirent à double titre, car, s’agissant de leur
jour de leurs sept ans, peut-être leur avait-elle réservé quelque
surprise et qu’il y avait bien longtemps qu’elles ne l’avaient vue
ainsi depuis qu’elle avait été « malade ».
Elles se souvenaient seulement que c’était après l’enterrement
de leur père, lorsqu’elles étaient rentrées à Paris. Ensuite,
elle était partie se reposer longtemps sur la Côte d’Azur et
c’était Vassili et sa femme, ainsi que Miss Sarah, lorsqu’elle
n’était pas en voyage, qui s’étaient occupés d’elles et de leur
cousin jusqu’à son retour.
Puis leur mère était revenue pour Noël et, la veille de son
retour, toute la famille de Vassili était partie. Ce qu’elles
avaient vécu comme un réel déchirement tant elles s’étaient
attachées à lui, à sa femme et à leurs deux enfants, Anna et Igor.
Surtout, elles ne s’y attendaient pas le moins du monde et les
adieux furent déchirants de part et d’autre.
C’est le Dr Jacob qui était venu annoncer le retour de leur
mère. Elle revenait en train et Miss Sarah l’accompagnait, de
retour d’un voyage en Italie.
Même Pierre ne fut pas enchanté de revoir sa gouvernante qu’il
considérait pourtant comme une seconde mère. La séparation d’avec
Vassili lui semblait un prix trop cher payé tant la maison était
pleine de vie avec la famille du comte Rozanov et les longues
visites de ses amis, le comte Rostov qui ressemblait au Don
Quichotte, sans sa Rossinante, du livre de la bibliothèque, le
prince Babeskoff avec sa grosse voix, le capitaine Markov qui
servait de monture improvisée aux fillettes, et d’autres encore qui
apportaient joie et gaieté.
Du jour au lendemain, tous disparurent – ainsi que la joie, et
même la voiture dont le Dr Jacob annonça que Mme de La Joyette
faisait cadeau au comte Rozanov pour tout le soin dont lui et sa
femme avaient entouré les enfants durant sa longue absence – et
également pour d’autres motifs qui lui étaient plus personnels.
Non, plus rien n’avait été pareil.
Leur mère et tante semblait toujours triste et elle ne sembla
reprendre un semblant de vie que lorsque Miss Sarah entreprit de
l’initier aux « affaires » pour lui donner une occupation
qui la sortît de sa mélancolie. Mais les dîners où étaient invités
le Dr Jacob, la marquise de Bonnefeuille
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