Même les oiseaux se sont tus
par sa canine, que Jerzy trouva terriblement protubérante, qu’elle lui parla.
– Jerzy! Est-ce que tu veux que ton fils apprenne la peur pour mieux te comprendre? Ce ne sera jamais à lui de te comprendre mais à toi de le comprendre. Tu racontes des choses qui se sont passées il y a presque onze ans. C’est fini. Tu ramènes toujours tout à la guerre, Jerzy.
– Onze ans pour toi, peut-être, mais pas pour nous. Dis ça à Jan et à Élisabeth. Ça ne fait même pas trois ans que la guerre est finie pour eux.
– Jan et Élisabeth n’en parlent jamais.
– C’est faux, ça, Anna.
– Ils ont des souvenirs, mais ils ne me parlent jamais des horreurs. Élisabeth m’a parlé de Marek une fois. Une fois.
– C’est faux, Anna. Elle parle avec ses yeux, aussi. Quand on dit «fraise», elle pense Marek. Quand on dit «mariage», elle pense veuve blanche. Quand ondit «champ», elle pense mine. Quand on dit «bébé», elle pense Adam.
Jerzy se tut, regardant le scepticisme dans la figure de sa femme. Tout ce qu’elle connaissait de la guerre, elle le lui avait déjà dit, c’était des lettres et des couvertures qu’elle avait expédiées aux soldats canadiens.
– Tu ne comprends rien, Anna.
Jerzy la laissa plantée dans la chambre et descendit si rapidement l’escalier que Jan se prépara à venir à son secours, convaincu qu’il allait trébucher. Jerzy n’en fit rien. Il se dirigea vers la patère, enfila manteau et bottes, et sortit sans claquer la porte, sans la refermer non plus. Jan se leva pour le faire et regarda les rides que faisaient les pas de Jerzy sur l’eau. Il soupira en refermant la porte. Jerzy ne lui avait pas posé de question sur ce qu’il avait voulu dire en demandant si la radio «en» avait parlé. Il revint s’asseoir dans la cuisine, augmentant un tout petit peu le volume de l’appareil, pour mieux entendre certes, mais aussi pour éviter d’engager une conversation avec Anna qui était redescendue, les yeux bouffis et la bouche amère. Jan se demanda comment Jerzy pouvait blesser une femme aussi extraordinaire.
Le soleil se coucha sur le 3 avril sans que personne ait constaté que Jan avait atteint sa majorité depuis le matin. Il avait essayé de blaguer en demandant si on en avait parlé à la radio mais personne n’avait compris ses allusions. Seuls les Favreau lui avaient expédié une carte de vœux et un cadeau extraordinaire. Jan sortit la lettre et le cadeau de sa boîte de souvenirs et les embrassa.
La cave avait d’abord suinté. Puis elle fut envahie par l’eau. Jerzy et Jan passèrent leur dimanche de Pâques à écoper et à mettre quelques légumes à l’abri. Jerzy et Anna reportèrent les réjouissances. M me Jaworska ne discuta pas et, résignée, défit le petit panier qu’elle avait préparé pour emporter à l’église. Elle remit le pain dans la boîte métallique, déposa les œufs peints sur une étagère, juste à côté de l’icône de la Vierge, replaça le saucisson dans la glacière, remballa dans du papier brun le fromage blanc déjà protégé par un gros papier ciré, rangea le raifort et la moutarde dans le garde-manger et déposa la salière et la poivrière sur la table. Elle se signa devant la Vierge et lui demanda, en cette année mariale, de bénir l’eau qui semblait vouloir les ablutionner.
– Si seulement la rivière pouvait se débarrasser de la glace, il n’y aurait pas plus d’eau que ça.
Jan s’essuya le front et sourit à Jerzy qui écopait vaillamment toute l’eau qui leur baignait les pieds. Ils versaient l’eau dans un baril qu’ils montaient à l’extérieur et déposaient dans la boîte du camion. Quand leurs trois barils étaient remplis, ils allaient les vider le plus loin possible, derrière les bâtiments, et rentraient pour recommencer le manège.
– J’ai l’impression que l’eau revient dans la cave avant nous.
Jerzy avait ri en faisant sa remarque et Jan lui sut gré d’essayer de détendre l’atmosphère qui s’alourdissait de jour en jour. Le travail terminé, ils montèrent au rez-de-chaussée et écoutèrent la radio pour apprendre que, dès le lendemain, des correspondants feraient des reportages directement de Letellier et de Saint-Jean-Baptiste.
– Il paraît qu’à Saint-Jean-Baptiste on a l’impression d’être sur un transatlantique.
Jan avait sourcillé. Il commençait à croire qu’il était possible que la plaine se change en mer.
– Heureusement que tu
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