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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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toujours abhorrés même s’ils lui devenaient familiers, Jerzy regarda le gel conquérir les dernières vaguelettes de la Rouge. Il lui semblait que la rivière étouffait au fur et à mesure que la glace l’emprisonnait. Ici et là, il apercevait des trous, véritables naseaux inventés par l’eau pour éviter l’asphyxie. Avant même que Noël n’arrive, la rivière, il le savait, serait complètement paralysée.
    Jerzy rentra pour prendre le petit déjeuner en compagnie d’Anna dont les rondeurs évoquaient un bulbe prêt à s’ouvrir pour laisser poindre une fleur. Il ne vivait plus une seule journée sans s’émouvoir de la chance qu’il avait eue de prendre le train de Halifax et d’y faire la rencontre d’Anna. Il but un café, lentement, alternant gorgées brûlantes et bouffées de cigarette. Les matins d’hiver lui permettaient d’être le mari d’Anna alors que les matins d’été le forçaient à l’abandonner pour se précipiter dans les champs, attendant, tel un adolescent transi, qu’elle arrive avec l’eau pour étancher sa soif d’elle. Il éteignit son mégot dans le cendrier sur piedet regarda Anna qui lisait un article de journal sur la ville de Dresden, en Ontario.
    – C’est quand même un peu fort. Les Blancs ont voté en faveur de la ségrégation. Ils ne sont même plus obligés d’accepter des Noirs dans les restaurants. Savais-tu que c’est à Dresden qu’a vécu l’homme qui a inspiré le personnage de l’oncle Tom?
    Jerzy fit non de la tête sans vraiment avoir compris la question et il repensa à ces jours d’été qu’il avait adorés. Il revit rapidement le soleil levant aspirer la rosée dans ces champs qui, chaque jour, changeaient de couleur. Il revécut les départs de Jan pour le marché et ses retours remplis d’historiettes et d’anecdotes.
    – Je pense que finalement j’aime bien ma vie.
    Anna leva les yeux en souriant, cherchant à reconstituer l’itinéraire de ses pensées depuis l’oncle Tom jusqu’à sa vie. Elle l’observa pendant qu’il allumait une autre cigarette. Jerzy leva enfin les yeux et ajouta qu’il aimait sa vie même s’il n’avançait que d’un pas et demi là où tout le monde en faisait deux.
    – C’est quand même bien. Est-ce que tu te rends compte que moi, quand j’aurai un pied dans la tombe, je vais mettre beaucoup plus de temps à y glisser le second? C’est un avantage certain.
    Anna ricana pour la forme, ce genre d’humour lui déplaisant souverainement.
    – Sans mentionner l’économie sur le bois du cercueil.
    – Jerzy, tu m’énerves!
    Jerzy s’assombrit.
    – Tu sais, Anna, j’essaie de me mettre dans la peau de mon père et de vivre ce qu’il a vécu il y a presquedix ans. C’est incroyable. Il y a dix ans, mes parents étaient sur le point d’avoir leur dernier enfant.
    Il tira longuement sur sa cigarette, la main secouée par un léger tremblement.
    – Dix ans ou trois éternités, selon le sablier.
    Anna ne répondit pas. Jerzy venait de lui fournir la raison de ses préoccupations face à la mort.
    Jan dévala l’escalier et leur annonça qu’il allait au bureau de poste. Il enfila sa pelisse et son chapska et partit sans même les saluer.
    – Je trouve qu’il va souvent à la poste.
    – Je me demande ce qu’il attend.
    – Est-ce qu’il t’aurait parlé d’une fille?
    – Non.
    Jan entra dans le bureau de poste et s’aligna derrière les personnes déjà arrivées. Il avait beau être là avant l’heure d’ouverture, il n’était jamais en tête de file.
    – Tu as deux lettres ce matin, dont une de Montréal. Et il y en a une troisième pour toute la famille, qui vient de Gravelbourg.
    Jan n’apprécia pas que le postier dise à haute voix la provenance des lettres. Il prit le courrier et s’isola dans un coin. Il ouvrit d’abord la lettre d’Élisabeth qui lui demandait s’il voulait essayer de rejouer du violon avec elle. Une famille de la rue Harrow à Winnipeg voulait qu’elle joue à la Saint-Sylvestre et lui offrait un peu d’argent, qu’ils partageraient, évidemment. Jan fut irrité par la requête de sa sœur. Elle savait qu’il ne voulait plus jouer de violon depuis qu’il avait rangé son instrument le soir de l’affrontement avec les Canadiens anglais. Il avait posé un gros crochet sur le mur de sa chambre et y avait suspendu l’étui par la poignée.Chaque fois qu’il le regardait, il lui semblait entendre les lamentations du violon muselé

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