Même les oiseaux se sont tus
es ici, Jan.
Jan tenta un sourire, regarda dormir son filleul et espéra que jamais ces eaux de terre ne noient les gens. Il se demanda si Montréal avait déjà été inondé.
Élisabeth regarda Étienne entrer dans la salle de cours. Elle lui sourit d’étonnement et de plaisir. Jeanne l’imita quand son cousin lui frotta le dessus de la tête. Élisabeth demanda à ses élèves de bien vouloir patienter, précéda Étienne et monta à l’étage. M me Dussault se joignit à eux. Étienne leur annonça qu’il ferait partie d’un groupe de gens de presse invités à voir les ravages de la crue en compagnie de l’officier des Relations extérieures du Corps royal de l’Aviation canadienne.
– C’est effrayant, Élisabeth. C’est l’état d’urgence. L’armée a pris le contrôle des opérations. On nous dit que les rivières sont encore à peu près sages et que tout ça c’est à cause de la fonte des neiges. Rosenfeld, Altona puis Gretna sont noyés par une mer blanche. Nous sommes censés aller jusqu’à Emerson, dans les camions de l’armée.
Élisabeth constatait le plaisir évident que ressentait Étienne à être sur la ligne de front. De lecteur de nouvelles, il était devenu, grâce au désastre, un reporter, ce qu’il semblait apprécier. Mal à l’aise, elle avait la chair de poule uniquement à l’entendre parler d’armée et de soldats.
– Tu sembles aimer tout ce qui arrive, Étienne.
– Oui, euh… non. Non, je n’aime pas voir évacuer les gens, puis, oui, j’aime le travail que je fais.
– Mais vous travaillez jour et nuit, Étienne.
– Oui, madame. Jour et nuit. Ou presque.
Étienne eut un air agacé, sentant qu’Élisabeth ne semblait pas approuver son travail.
– Il faut bien aider le monde, Élisabeth.
– Oui, je comprends ça.
Il se dirigea vers la porte et Élisabeth l’accompagna.
– Je t’aime, Élisabeth.
– Je sais et je t’aime aussi.
Si les lèvres d’Élisabeth avaient parlé, ses yeux demeurèrent muets. Étienne y lut une vive réprobation.
– Qu’est-ce que tu veux vraiment me dire, Élisabeth?
– Simplement que j’ai de la difficulté à imaginer les dégâts et les gens touchés par le sinistre quand je vois ton sourire et ton excitation.
Étienne haussa les épaules et enfila ses bottes de pêche, embrassa la joue d’Élisabeth si rapidement que ses lèvres ne l’effleurèrent même pas, et sortit en claquant la porte aussi sèchement qu’il avait dit «salut». M me Dussault s’approcha d’Élisabeth et lui proposa de sortir. Élisabeth refusa gentiment et s’empressa de rejoindre ses élèves qui l’avaient patiemment attendue au sous-sol.
Étienne revint le dimanche soir, en état de choc. Jamais il n’avait cru possible de voir se déchaîner ainsi une rivière, qui, son eau eût-elle été changée en feu, aurait ressemblé à un boulevard infernal.
– La plus grande partie de cette eau nous arrive des États-Unis.
Son groupe s’était rendu jusqu’à Emerson et ils avaient vu la rivière se régurgiter elle-même. Élisabeth à Saint-Boniface, Jan et Jerzy à Saint-Norbert étaient demeurés soudés à leurs postes, écoutant ses reportages qui, Élisabeth en fut soulagée, se faisaient d’une voix remplie d’autant de compassion que d’enthousiasme.
Le docteur Dussault entra précipitamment dans la maison, descendit au sous-sol chercher tout ce dont il pouvait disposer. Élisabeth le suivit, au cas où il aurait eu besoin de ses services.
– Je vais continuer de recevoir des patients, Élisabeth, mais juste les urgences. Je compte sur toi pour faire un tri. D’ici la fin de l’inondation…
Il s’interrompit, regardant Élisabeth d’un air interrogateur.
– Est-ce qu’Étienne pense qu’une inondation peut durer tout le temps?
Élisabeth haussa les épaules, s’étant elle-même posé la question. La neige ne cessait de fondre et les rivières continuaient de somnoler.
– Bref, d’ici la fin de l’inondation, je vais être au Centre de santé de Saint-Boniface, rue Provencher.
– Est-ce que je peux faire quelque chose?
Dussault la regarda quelques secondes avant de lui sourire.
– Je ne crois pas. Pour l’instant, la situation semble sous contrôle.
– Sous quel contrôle?
Étienne revenait voir Élisabeth dès qu’il avait une minute, ce qui se faisait de plus en plus rare. Ses minutes étaient comptées ou racontées.
– Je commence à sentir la fatigue, Élisabeth. Je
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