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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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Saint-Boniface s’accrochait désespérément à la capitale, surtout par le pont du Canadien National. Un train y faisait la navette, transportant les évacués, les journalistes, les civils et les militaires. Élisabeth sentit grandir son inquiétude quand Saint-Boniface continua d’être vidé de ses habitants que l’eau et ses glaces remplaçaient rapidement. Elle ne put s’empêcher dedétester cette eau qui était aussi envahissante et victorieuse que les Allemands de Cracovie.
    Le matin, elle partait en train et regardait les pieds mouillés de la cathédrale en traversant le pont d’acier. Rendue à la gare Union qu’elle avait déjà tant admirée, elle s’empressait de se rendre rue St. Mary’s où des tables et des appareils téléphoniques avaient été installés. Plus souvent qu’autrement, Étienne, la barbe longue et les yeux noircis, était là avant elle. Il lui disait par un sourire sa joie de la voir. Elle lui donnait les quelques gâteries qu’elle avait apportées. Ce qu’il préférait, c’étaient les tablettes de chocolat et les arachides. Il s’empiffrait comme un affamé et elle comprit qu’il ne prenait pas le temps de manger autre chose. Plus elle le voyait, plus elle regrettait ses propos. Comment avait-elle pu lui reprocher de n’avoir pas connu la guerre?
    – Je m’excuse, Étienne.
    – Parce que ce n’est pas mon chocolat préféré?
    – Non, pour ce que je t’ai dit la semaine dernière. Étienne haussa les épaules et lui sourit d’un sourire brun et sucré. Élisabeth pensa qu’il lui avait fallu être méchante pour reprocher à Étienne d’être vivant. Parce que c’est ce qu’elle lui reprochait. Elle lui en voulait d’être ce que Marek n’était plus: l’homme qu’elle voulait aimer. Elle le quitta pour s’asseoir à sa table, répondre au téléphone qui ne dérougissait pas, et regrouper les messages.
    – Des nouvelles de Saint-Norbert, Étienne?
    – Ça a l’air stable.
    – Stable à peu près sec ou stable plein d’eau?
    – Ça dépend des secteurs. Depuis qu’on a fait un appel à tous pour avoir des bulldozers, on a fait pas mal de remblayages. Ça aide.
    – Ça ressemble à des tranchées.
    Étienne lui caressa la joue en souriant.
    – Contente-toi donc d’appeler ça des digues. Il n’y a personne de l’autre côté… Juste de l’eau.
    Le 13 mai, Étienne annonça que le dernier pont qui reliait Saint-Boniface à Winnipeg, le pont Norwood, disparaissait. Élisabeth reprit le train, épuisée par la tension qui l’avait retenue toute la journée. Les évacués arrivaient maintenant directement à l’auditorium et elle avait quitté le téléphone pour les installer, distribuer des victuailles et expédier tous les messages pertinents.
    – Je sais que c’est ridicule, Élisabeth, mais que dirais-tu de te mouiller un peu… dans une bonne eau chaude et mousseuse?
    Élisabeth accepta l’offre de M me Dussault, un faible sourire aux lèvres. Pendant les jours qui suivirent, elle vécut en somnambule, partant le matin en espérant voir Étienne, en souhaitant aider les évacués, en cherchant désespérément les gens perdus. Le soir, elle rentrait avec la satisfaction d’avoir un mot à dire durant cette guerre, heureuse de constater que la maison se tenait presque au sec.
    Jerzy se leva et éteignit la radio. Jan bâilla et se leva aussi.
    – Le pire est passé. CKSB a cessé de diffuser la nuit, et eux ils sont en contact avec l’armée.
    – Nous avons été chanceux. Saint-Adolphe a été évacué mais pas nous.
    – Saint-Adolphe peut devenir une nouvelle Atlantide, ça ne me dérangera pas.
    – Quelques milles de plus et nous flottions.
    Jan regarda Jerzy et lui dit qu’ils ne pouvaient quand même pas avoir tous les malheurs.
    – La cave est complètement inondée, mais au moins la maison n’est pas une arche. Une passoire peut-être, mais pas une arche.
    – Nous repeuplerions mal la terre. Trois vaches et même pas d’âne.
    – Le pire, dans le fond, ça aura été de voir flotter les excréments tout autour de la maison. Ceux des animaux et les nôtres. Les miens, ça allait, mais ceux que je ne reconnaissais pas…
    – Franchement, Jan!
    – C’est vrai. Je trouve ça dégoûtant.
    Les frères montèrent en se souhaitant bonne nuit. Le lendemain et les jours qui suivirent, la Rouge sembla se calmer. Elle charriait encore des glaces que Jan et Jerzy soupçonnaient d’être des éclats de mystérieux

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