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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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au rythme de l’Orient, les cheveux des femmes tenus par de longues broches et leurs obis miroitant de leurs fils satinés, saluèrent la foule avec des dents presque jaunes sous les maquillages blanc et noir qui commençaient à couler le long des cous et à imprégner les cols. Favreau agita son drapeau mais demeura muet.
    – Bonjour! Bonne fête!
    Élisabeth, les sourcils froncés, donna un coup de coude à son frère.
    – Penses-tu que M. Favreau connaît quelqu’un qui aurait été à Pearl Harbor?
    – Je m’en fous, Élisabeth. Bonjour! Bonne fête!
    M. Favreau retrouva rapidement la parole et put leur expliquer la guignolée, bien illustrée par un char. Plusieurs chansons étaient familières à Jan et à Élisabeth.
Le Pot-pourri
, appris en Pologne quand ils étaient jeunes, leur revint en mémoire.
    Puis un son parvint jusqu’à eux qui leur mit les oreilles au garde-à-vous. La musique venait tout à coup de rejoindre celle de leur passé. Devant eux apparut un groupe de Polonais en costume du pays, chantant et dansant comme ils l’auraient fait sur la Grande Place de Cracovie. Jan ne put souffler un mot pendant qu’Élisabeth sautillait pour tout voir et que M. Favreau agitait son fleurdelisé d’une main et son drapeau papal de l’autre.
    – Jan! Regarde! Jan, tu entends?
    Élisabeth chantait à tue-tête, espérant que ceux qui défilaient sous la chaleur et la fleur de lys puissent l’entendre. Elle criait en polonais, elle criait en français, si fort que plusieurs des marcheurs tournèrent la tête et la saluèrent.
    – Jan! Agite la main! Agite la main! Jan sortit enfin de sa torpeur.
    – Bonjour!
Dzien dobry
! Bonne fête!
Wesolych swiat
!
    Toutes les personnes autour d’eux les regardèrent et seul Favreau entendit prononcer le mot «Polak».
    – Ils me connaissent. Ils m’appellent le Polak, mais ce n’est pas méchant.
    – Mais vous vous appelez Favreau.
    – Oui. Mais l’accent...
    Jan n’osa pas lui demander si lui-même resterait toujours un Polak, même après des années.
    Élisabeth accrocha son frère par le bras et lui fit danser quelques pas au son de la musique de ses compatriotes et lui dit en polonais qu’elle n’avait pas souvent eu l’occasion de s’amuser autant. Jan sourit tristement, conscient que si sa sœur était sortie de la Pologne, il y avait encore de la Pologne en elle.
    Le dernier char arriva enfin. La Vierge Marie, l’Enfant Jésus et sainte Anne escortaient le petit saint Jean Baptiste. L’enfant était blond et frisé et tenait une croix dans sa main droite. À ses côtés, un mouton, probablement assoiffé, ne cessait de bêler.
    – Chaque année, pour ne pas le faire vieillir, on a un nouveau petit saint Jean. Cette année, c’est un petit Godin. Son père est conseiller municipal.
    Favreau éclata de rire.
    – Parfois, il suffit de faire de la politique pour faire canoniser ses enfants. Pouvez-vous imaginer ce qui se passerait si les prêtres pouvaient se marier?
    Jan ne l’écoutait plus. Il s’était recueilli devant cette statue vivante de son saint patron et eut une pensée pour Jerzy qu’il imaginait aux champs à récolter les radis et les laitues. Il leva les yeux au ciel et vit que les nuages avaient abandonné la partie. Jan se demanda s’ils étaient retournés dans l’ouest arroser les champs de son frère.
    Jerzy et Anna partirent main dans la main en direction des boisés, dont les sous-bois ressemblaient à de véritables marécages. Ils avaient tous les deux enfilé d’énormes bottes de caoutchouc et Anna riait aux éclats.
    – Je te jure, Anna, que j’ai fait un rêve. Et dans mon rêve j’entendais une voix qui disait: «Jerzy, Jerzy, la fleur de la fougère, la fleur tant recherchée par la Pologne est ici, dans tes boisés. Lève-toi de ton grabat, prends ta femme et marche pour la trouver.» Je te jure, Anna, que c’est ce que disait la voix.
    Anna se tordait de rire. Les Polonais aimaient faire croire aux enfants que, le jour de la Saint-Jean, il y avait une fleur magique dans les fougères, mais habituellement c’étaient des fleurs de papier, faites à la main.
    Anna s’enfonça donc jusqu’aux genoux dans les marécages. À cause de la vase qui lui serrait les chevilles, elle forçait pour faire chaque pas. La succion fut si grande qu’elle perdit une botte et se trempa le pied dans la bourbe, séquelle de l’inondation.
    – Jerzy, je viens de me mettre le pied dans la boue. Jerzy recula,

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