Même les oiseaux se sont tus
accent.
La dame, ne sachant qu’ajouter, soupira et s’apprêtait à partir quand Élisabeth prit une profonde inspiration avant de lui dire que depuis son arrivée au Canada elle était professeur de violon.
– À quelle école?
– La mienne. À Saint-Boniface. – En Mauricie?
– Non, au Manitoba.
La dame, qui pendant une fraction de seconde avait eu espoir de trouver un professeur pour sa petite-fille, s’assombrit.
– Vous venez du Manitoba?
– Oui. Je suis ici pour l’été. En vacances.
– Et vous travaillez comme caissière?
– Mais oui. Ça me permet de rencontrer des gens intéressants.
La dame se rengorgea et sourit, comme pour la remercier. Un inconfortable silence s’installait quand Jan entra avec empressement.
– Bonjour, madame Lagacé. C’est un honneur de vous voir ici.
M me Lagacé sourit de la flatterie.
– C’est vrai que je ne me déplace plus pour l’épicerie. M. et M me Favreau connaissent mes goûts.
– Est-ce que je peux vous aider?
Jan déposa ses sacs derrière le comptoir et, tout en écoutant le récit de M me Lagacé, enfila son tablier.
– Est-ce que ma sœur vous a offert de lui enseigner, à votre petite-fille? Je parie qu’elle ne vous a pas dit que notre mère était la plus grande musicienne de Cracovie. Elle nous a tous enseigné.
– Vous jouez aussi?
– Plus maintenant. À cause d’une blessure de guerre.
Élisabeth le fusilla du regard. Son frère n’avait pas inventé la subtilité.
– Je n’aurais jamais osé, Jan. De toute façon, ça ne serait pas bon pour la petite.
– Mais tu pourrais au moins l’entendre, non?
M me Lagacé regarda Élisabeth avec tant d’imploration dans les yeux qu’Élisabeth accepta de rencontrer la petite. M me Lagacé s’anima et Élisabeth la trouva tout à coup moins distante.
– Demain soir, si vous le pouvez.
– À sept heures?
– Sept heures.
Élisabeth dut s’avouer qu’elle était nerveuse. Elle regrettait d’avoir cédé à la requête de son frère, non parce qu’elle n’avait pas envie de rencontrer une petite fille mais parce qu’elle craignait d’être incapable de refuser de la prendre comme élève, ne fût-ce que pour un mois et demi. M me Lagacé et Florence arrivèrent cinq minutes avant l’heure. Jan avait préféré aller chez les Favreau pour laisser toute la place à sa sœurmais Élisabeth savait qu’il avait autant d’appréhension qu’elle.
Dès qu’elle aperçut Florence, Élisabeth fondit. Florence était minuscule, avait des cheveux roux, nattés, une robe cousue main dans un coton écossais marine, vert, rouge et jaune. Une dentelle bordait le collet et l’extrémité de la manche, courte et bouffante. Ses longues tresses étaient retenues à l’arrière par un ruban vert, noué minutieusement. Ses mains étaient encore un peu potelées, comme si elle n’avait pas encore fini de perdre sa graisse de poupon, mais, étonnamment, ses doigts étaient effilés. Florence toisa Élisabeth elle aussi pendant quelques secondes puis lui sourit.
– Vous avez l’air d’une violoniste, mademoiselle.
– Tu peux m’appeler Élisabeth. Et ça a l’air de quoi, une violoniste?
– Ça a les doigts propres et les ongles bien coupés. Et ça tient sa tête comme ça.
Florence pencha la tête un petit peu vers la gauche, ce qui fit rire Élisabeth. Il était vrai qu’elle tenait la tête discrètement penchée vers la gauche. Florence était la troisième personne à le remarquer. M. Porowski avait été le premier et son père le deuxième. Tous les deux avaient dit qu’elle avait un port de tête semblable à celui de Zofia.
M me Lagacé s’était assise et ne disait mot, se contentant de sourire béatement devant la vivacité de sa petite-fille.
– Et pourquoi est-ce que tu penses, Florence, que les violonistes ont la tête penchée comme ça?
Florence, qui était assise sur une des chaises de la cuisine, réfléchit longuement, se balançant les jambes d’avant en arrière.
– Peut-être parce qu’ils sont habitués de tenir le violon avec leur menton, comme ça.
– Peut-être. Je pense qu’à partir d’aujourd’hui je vais regarder comment les violonistes...
– Peut-être parce qu’ils ont toujours la tête prête à écouter les notes.
– Peut-être.
Élisabeth demanda à Florence de lui montrer son violon et Florence ouvrit son étui avec précaution. Elle enleva le linge fin qui recouvrait l’instrument et tendit l’étui à
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