Même les oiseaux se sont tus
Élisabeth. Le violon avait de la patine.
– Je parie que ce violon est plus vieux que toi.
Florence la regarda, les yeux grands ouverts. Élisabeth venait de l’impressionner encore une fois. La petite jeta un coup d’œil en direction de sa grand-mère qui fit un petit signe de tête et un sourire.
– C’était le violon de grand-maman quand elle était petite, et le violon de mon père quand il était petit. C’est pour ça qu’il joue bien. Ça fait longtemps qu’il s’exerce.
Élisabeth était fascinée par le langage de la petite qui parlait de son instrument comme d’un être vivant. C’était une enfant toute désignée pour comprendre son approche. Elle lui demanda de tenir le violon. Florence sortit l’instrument avec précaution et le posa sur ses genoux. Elle le caressa avec délicatesse.
– C’est doux, un violon.
– Doux comme quoi?
– Doux comme... ma robe de nuit. Et doux comme... la peau de grand-maman. Et doux comme... mon lapin de peluche.
Une heure passa rapidement. Florence porta son violon comme un bébé sans même qu’Élisabeth lui ait expliqué pourquoi. Elle marcha avec lui, aussi. De temps en temps, Élisabeth jetait un coup d’œil en direction de la grand-mère, qui ne semblait nullement surprise. Élisabeth s’étonna de constater qu’elle appréhendait la fin de ces préambules, craignant que la petite n’ait aucun talent. Elle se résigna pourtant et sortit son propre violon en demandant à Florence d’accorder le sien, lui donnant la note. Florence s’exécuta facilement.
– Est-ce qu’on les fait jouer aux perroquets?
Florence éclata de rire et accepta. Élisabeth donna plusieurs notes, tantôt pizzicato, tantôt staccato, tantôt legato. Florence reproduisait tout parfaitement. Élisabeth sentit son cœur battre d’excitation. Florence savait bien où placer les doigts et tenait son archet avec une facilité et une grâce déconcertantes.
Jan rentra sans faire de bruit. Il trouva sa sœur en robe de nuit, écrasée dans un fauteuil de la pièce centrale, dans la noirceur totale. Il lui demanda la permission d’allumer, permission qui lui fut accordée par une sorte de grognement. Il la regarda et remarqua que sa sœur avait son air des jours de tristesse.
– Qu’est-ce qui se passe?
Élisabeth haussa les épaules et baissa le front. Jan alla se verser un verre d’eau et lui en offrit un, qu’elle accepta.
– Qu’est-ce qui se passe?
Élisabeth avala une gorgée après l’avoir longuement retenue dans sa bouche.
– Je pense que cette Florence a un talent qui s’apparente à celui d’un petit Mozart.
– Tu n’exagères pas un peu?
– Évidemment que j’exagère. Mais je n’ai jamais vu un talent comme le sien. Ni à Saint-Boniface ni à Cracovie. Maman en aurait pleuré d’émotion. Elle a attendu une élève comme Florence toute sa vie.
– Elle est si bonne que ça?
Élisabeth se contenta d’acquiescer de la tête. Jan sentit le terrible dilemme de sa sœur. Elle avait le cœur en équilibre entre son amour pour Étienne, sa promesse de retour à Saint-Boniface, ses petits élèves auxquels elle enseignait depuis presque trois ans, et l’euphorie d’avoir découvert un immense talent musical.
– Je me sens comme si je venais de déterrer un trésor.
Jan n’osa pas lui demander ce qu’elle avait l’intention de faire lorsqu’elle se leva en traînant les pieds et lui souhaita bonne nuit. Il but son verre tout d’un trait quand il l’entendit se mettre au lit.
Florence entra dans le magasin, un immense sourire figé sur une dentition blanche autour d’un trou noir.
– J’ai perdu une dent, hier soir. En rentrant à la maison. Elle est restée coincée dans un
toffee
.
– Félicitations!
– La fée des dents est venue et m’a promis de réaliser mon désir.
Élisabeth sourit faiblement, comprenant parfaitement que Florence venait de passer à l’attaque.
– Je connais plein de monde qui va dans un camp de vacances. Pas moi.
– Ça doit être amusant, non?
– Non. Ça fait que j’ai demandé à la fée des dents de me donner des vacances de musique. Elle m’a promisque je pourrais venir ici tous les jours pour jouer avec toi.
– Elle a promis ça ...?
– Oui. Je l’ai très bien entendue.
Jan, qui écoutait la conversation, se demandait quelle pirouette sa sœur inventerait pour se dépêtrer des rets que la petite chasseresse avait tendus. Élisabeth demanda à Florence de l’excuser
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