Même les oiseaux se sont tus
d’air ses poumons, qu’elle sentait prêts à éclater. Dès qu’elle mit le pied dans la maison, elle fut accueillie par Jan défiguré par l’inquiétude.
– Où étais-tu, Élisabeth? J’ai passé la nuit debout à t’attendre. La grand-mère de Florence nous a dit que tu l’avais raccompagnée à six heures. Où étais-tu passée?
Elle eut envie de lui répondre, mais préféra se taire. Son instinct lui disait que le moment n’était pas venu de parler de Denis. Jan lui faisait si pitié à voir avec sa barbe longue et ses cheveux ébouriffés qu’elle s’en approcha pour lui caresser la crinière. Il enleva sa main avec douceur et la baisa.
– J’étais mort d’inquiétude, Élisabeth.
– Je comprends. J’étais comme ça, moi aussi, quand je t’ai cherché et que je t’ai trouvé en mille morceaux dans un cimetière.
Jan n’ajouta plus rien et la regarda entrer dans sa chambre et refermer la porte. Il soupira, espérant qu’Élisabeth savait ce qu’elle faisait. Il devait taire sa désapprobation, sachant combien elle avait déjà souffert. Il avait encore dans le nez l’odeur du corps de Michelle et il eut un pincement au cœur en pensant qu’un homme avait peut-être sur lui le parfum d’Élisabeth.
63
Élisabeth ne tenait plus de joie. Elle raccrocha le téléphone, interrompit son cours de violon au grand déplaisir de Florence, déboula presque l’escalier tant elle le descendit rapidement, enfila ses bottes sans les attacher et entra en souriant dans l’épicerie. Michelle, l’air fatiguée, était assise derrière le comptoir à mettre de l’ordre dans les factures de la clientèle pendant que Jan pesait une pièce de bœuf et que M. Favreau essayait de vendre une marque de détersif plutôt qu’une autre. Élisabeth se dirigea vers son frère et se dandina sur place, attendant que les clients aient quitté l’épicerie. À son expression, Jan avait compris qu’Anna avait eu le bébé. Il avait quand même évité de brusquer sa cliente, malheureux néanmoins de faire ainsi languir sa sœur. Ce n’est que lorsque la clochette de la porte eut fait entendre son dernier tintement qu’Élisabeth annonça à la ronde qu’on venait de lui demander d’être la marraine d’une petite fille de six livres et deux onces. M. Favreau cria de joie en levant le poing vers le plafond avant de donner, comme à son habitude, une tape de plaisir sur le comptoir. Jan regarda Michelle d’un œil attendri et cette dernière pensa à demander le nom du bébé.
– Sophie. La petite s’appelle Sophie. Comme sa grand-mère Pawulska.
Jan fut visiblement touché et passa derrière le comptoir pour mettre la main sur l’épaule de sa femme. Il réussit enfin à sourire et affirma que Sophie, avec une grand-mère comme la sienne et une marraine comme Élisabeth, ne pourrait échapper à son destin: elle deviendrait une grande musicienne. M. Favreau monta chez lui annoncer la nouvelle à sa femme. Une fois à l’étage, il leur cria de le rejoindre pour qu’ils portent un toast à cet heureux événement.
Florence entra dans une épicerie vide et fut doublement insultée. Non seulement Élisabeth l’avait-elle abandonnée mais l’épicerie elle-même avait été désertée. Avec son étui emmitouflé au bout du bras, elle se planta au pied de l’escalier et appela.
– Monte, Florence. Et prends-toi un
Kik
si tu veux. Florence sautilla de plaisir, s’empara d’une orangeade et attrapa un sac de pop-corn au passage. Elle monta les marches deux à deux et rejoignit les autres qui trinquaient à la santé de Sophie.
– C’est qui?
– Notre nièce. Elle est née ce matin.
– Est-ce qu’elle s’appelle Valentine?
– Non. Sophie. Mais elle aurait très bien pu s’appeler Valentine.
– Moi, j’aurais aimé ça être née le 14 février. J’aurais toujours eu plein de chocolats pour ma fête.
Florence prit l’orangeade que M me Favreau lui servit, alla choquer tous les verres pour porter son toast, but en larmoyant, le gaz lui remontant dans le nez et lui picotant les yeux. Son verre achevé, elle eut le hoquet et expliqua qu’elle n’avait jamais la permission de boire des colas parce qu’ils lui donnaient le hoquet.
– J’ai pensé que l’orangeade ce n’était pas pareil.
Florence n’avait pas encore cessé de hoqueter lorsque sa grand-mère vint la chercher.
– Tu as pris du cola, Florence?
– Non, de l’orangeade.
Élisabeth tenta de la
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