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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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avait la conviction, était sur la voie du bonheur et rien ne saurait le faire dérailler. Elle imagina Jerzy qui, lui aussi, devait être à l’église aux côtés d’une Anna tout en plénitude et Élisabeth les salua en pensée, leur promettant de tout faire pour réunir la famille. À chacune des trois messes, M. Favreau fit tomber son chapeau de fourrure, ce qui amusa et fit sourire M me Favreau. La troisième fois, elle le suspendit au crochet devant elle, empêchant ainsi M. Favreau de répéter la même bourde une quatrième fois.
    – C’est aussi bien comme ça, tu serais à court de messes.
    Ils sortirent enfin de l’église et s’embrassèrent sur le parvis avant de reprendre le chemin de la maison pour le réveillon. Il était convenu que Jan et Michelle réveillonneraient chez les Favreau et prendraient le souper de Noël chez les Dupuis. Élisabeth fut émue de penser qu’au prochain Noël ils auraient un enfant avec eux.
    Le matin du mardi 25 décembre 1951, Élisabeth s’éveilla, éructa péniblement quelques relents de pâté à la viande, se leva et décida de surprendre Jan et Michelle en leur servant le petit déjeuner au lit. Elle passa à la cuisine, mit son projet à exécution et profita du temps que mettait la cafetière à infuser le café pour sauter sous la douche et effacer les traces de nuit presque blanche qui lui barbouillaient le visage. Le petit déjeuner fut préparé au goût de Jan et de Michelle: hareng saur, œufs et rôties pour lui, tartinesde confitures pour elle. Élisabeth plaça le tout sur un plateau qu’elle décora d’une boucle rouge et d’un cône de pin, frappa à leur porte et, sans attendre leur réponse, entra en souriant. Elle faillit défaillir, en apercevant Jan et Michelle, tous les deux nus, dans une position qu’elle n’avait jamais qu’imaginée, se chevauchant allégrement malgré le poids du ventre de Michelle. Elle fut si saisie qu’elle resta quelques secondes à les regarder avant de ressortir en prenant bien soin de ne faire aucun bruit. Elle revint s’asseoir dans la cuisine, ne sachant si elle devait être offusquée, amusée, scandalisée, étonnée, troublée ou envieuse. Jamais de sa vie elle n’avait fait une telle chose et elle en ressentit une grande amertume. Elle se demanda si elle serait capable d’afficher ainsi sa nudité devant Denis Boisvert et frissonna par assentiment avant même que sa tête ne lui réponde.
    Élisabeth se versa une tasse de café qu’elle but lentement avant d’avaler sans appétit les œufs apprêtés pour son frère et une des tartines de Michelle. Elle jeta les restes à la poubelle, recouvrit le tout d’un sac brun afin d’éviter que Jan ne fasse une colère, et se vêtit, choisissant sa plus jolie robe – elle portait encore les robes offertes par M me Dussault – en taffetas miroitant tantôt en rose, tantôt en vert. Elle attendit jusqu’à dix heures et décida de quitter la maison, tenant son étui à violon d’une main et ses chaussures de l’autre pour ne pas incommoder Jan et Michelle.
    Elle sortit rue Saint-André et se dirigea vers la rue Gilford pour aller chez les Favreau. Ayant monté l’escalier, elle frappa et attendit vainement qu’ils viennent ouvrir. Étonnée – ils ne pouvaient quand même pas dormir ni faire ce que faisaient Jan et Michelle –, ellefrappa une deuxième fois, mais plus discrètement. Elle appuya l’oreille contre la porte mais aucun son ne lui parvint. Elle se résigna donc à partir et se dirigea vers la maison de la grand-mère de Florence, située rue Mentana au nord du boulevard Saint-Joseph. On l’accueillit à bras ouverts et elle en fut remuée, venant de prendre conscience de sa solitude. Elle avait vingt-quatre ans, un mari mort avant qu’elle n’ait vraiment été sa femme, un fiancé dont l’amour n’avait pas été assez fort pour évincer le génie de Florence, et une attirance secrète pour un homme qui l’avait reconduite chez elle une fois, l’avait invitée à un concert auquel elle n’avait pu assister, lui avait proposé de jouer du violon là où il travaillait et lui avait offert un parapluie. Tous les soirs, Élisabeth embrassait doucement la tête de cygne qui, suspendue à la tête de lit, veillait sur ses rêves et sur ses désirs.
    Élisabeth et Florence eurent énormément de succès auprès des patients et des visiteurs qui fêtaient Noël parmi les civières et les fauteuils roulants, respirant à plein

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