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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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tellement d’amour que Jan s’était ravisé et lui avait dit qu’ils pouvaient l’emporter. Élisabeth refusa d’abandonner celui de Jerzy: «J’ai promis, Jan, promis de le lui rendre», avait-elle sangloté. Jan, encore une fois, avait cédé. Élisabeth était allée porter son violon devant la porte de M me Grabska.
    – Je suis certaine que Jerzy va revenir, Jan. S’il trouve mon violon ici, il saura que le sien est avec moi.
    M me Grabska était absente et ne savait encore rien des événements. Affolé, Jan avait supplié Élisabeth de se hâter. Elle était rentrée dans la maison pendant que Jan enlevait les cordes du violoncelle de son père.
    – Ce sera plus facile à transporter.
    Élisabeth avait acquiescé en sanglotant. Ils avaient fait un rapide tour de l’appartement et en étaient sortis sans prendre la peine de refermer la porte derrière eux. Ce chien de Schneider serait ravi de tout avoir pour lui. Ils s’étaient regardés rapidement mais ce fut suffisant pour qu’ils voient tous les deux le chagrin leur embrumer les yeux et la terreur leur perler au front. Apeurés et épuisés, ils étaient sortis avant huit heures. Au milieu de l’escalier, Jan était remonté à la course. Élisabeth l’avait attendu sans broncher. Il l’avait rejointe, transportant son violon à lui. Il était reparti en vitesse en direction de la cour pour en revenir avec les mains salies de terre dont il avait bourré une de ses poches. Il s’était engagé le premier dans la rue, réussissant à obstruer la vue de sa sœur en passant près des taches rougeâtres qui avaient presque fini de sécher.
    Jan avait été étonné de la facilité avec laquelle ils avaient pu sortir de la ville. Soit que les Allemands n’avaient rien vu, soit qu’ils n’avaient pas voulu les voir, soit que leurs parents veillaient déjà sur eux. Le premier soir, par contre, leur était tombé dessus comme s’ils avaient été aspirés dans une caverne froide, pleine de stalactites et de stalagmites, de vampires effrayants et de vermine. La terreur ne leur faussait plus compagnie et leurs corps transis avaient pris le rythme de leurs tressaillements. C’est même en claquant de peur, le nez coulant et les joues blanchies, qu’ils avaient réussi à dormir sur des bûches humides dans un abri derrière une église.
    Le réveil du lendemain avait été une souffrance que ni Jan ni Élisabeth n’avaient crue possible. Les spectresde la veille s’étaient agités et Élisabeth avait sangloté à fendre l’âme de Jan.
    Le premier mois de fuite ressembla à l’idée que Jan se faisait de l’enfer: un inconsolable triple deuil, de violentes poussées de rage et de haine, une faim affaiblissante, un froid qui dénichait chaque repli de chair qui aurait pu les réchauffer, et, surtout, des douleurs dans tous les os de plus en plus saillants de son corps. Élisabeth l’avait en quelque sorte abandonné, préférant trouver refuge dans une espèce d’engourdissante folie. Après la première nuit, Jan avait décidé qu’ils dormiraient le jour, quand le soleil pouvait les réchauffer, et qu’ils marcheraient la nuit pour défier le froid tout en étant moins exposés et moins visibles.
    Élisabeth marchait donc à la trace derrière Jan. Au petit matin, quand la longue marche prenait fin, ils se laissaient tomber en abandonnant toute méfiance pendant quelques minutes, le temps de délacer leurs chaussures qui se faisaient de plus en plus torturantes. Élisabeth avait des pieds glacés et sanguinolents que Jan tentait de soulager, comme elle l’avait fait tant de fois quand il rapportait des morceaux de charbon bien cachés dans ses chaussures. Aussitôt qu’il touchait une chair cloquée, elle gémissait légèrement, n’ayant plus la force de crier. Dès que Jan avait terminé le soin des pieds de sa sœur, il se déchaussait et Élisabeth lui rendait les traitements qu’elle avait reçus. Ce travail leur prenait une heure tous les matins. Comme pansements, ils utilisaient les morceaux d’un drap volé. Ils dormaient ensuite, tour à tour, chacun veillant sur le sommeil de l’autre, les pieds bandés comme ceux de petites Chinoises. Élisabeth avait un sommeil queJan redoutait et détestait voir. Elle s’agitait, pleurait, donnait des coups de pied, ou, au contraire, se pelotonnait, ses mains jointes lui servant d’oreiller. Jan regardait alors une larme sans fin lui baigner la joue, comme si elle coulait d’une

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