Même pas juif
Youri ?
— Quoi encore ? a-t-il grondé.
— Tu crois aux anges, toi ?
— Je crois au pain. Et maintenant, boucle-la, où tu auras de
mes nouvelles.
Je l’ai bouclée.
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Comme pour confirmer les paroles de Youri, le pain est bientôt
devenu une chose à laquelle croire plutôt qu’un produit de
consommation.
Un jour, je me suis rendu à un de mes postes habituels. Les
coins de rue près des boulangeries – rien de mieux. J’ai
attendu. Personne ne passait chargé d’un sac à pain. Plus
exactement, personne ne sortait du magasin. Renonçant, j’ai
gagné mon deuxième lieu de guet. Pareil. Toute la journée, je
suis allé de planque en planque. Rien. Je n’ai pas vu la moindre
miche.
Alors, j’ai fait ce que je ne faisais presque jamais – je suis
entré dans une boulangerie. C’était une de celles avec une étoile
jaune peinte sur la vitrine. J’ai été secoué. Sur les étagères
alignées contre le mur, pas de pain du tout, juste un petit
croissant esseulé. Sous verre, deux ou trois gâteaux secs.
Le boulanger est sorti de l’arrière-boutique.
— Tu veux acheter quelque chose ? a-t-il grommelé.
J’ai contemplé avidement le croissant. C’était mieux que
rien. Mais il était trop haut pour que je m’en empare. Ma
rapidité et mon agilité ne me seraient d’aucune aide.
Je lui ai montré ma pierre jaune.
— On troque ? ai-je proposé.
Bien sûr, je ne la lui aurais pas donnée. Je voulais
seulement l’obliger à descendre le croissant.
Il est devenu tout rouge. M’a montré la porte d’un air
furieux.
— Dehors ! Sors d’ici, espèce de petit voleur !
Il a essayé de m’attraper, mais j’étais déjà loin.
De retour dans l’écurie, j’ai dit à Youri :
— Il n’y a plus de pain.
— Apprends à manger des cornichons.
J’ai obéi. J’ai appris à manger des tas de choses. S’il n’y
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avait pas de nourriture dans la rue, sous les bras des dames en
étoles de renard, j’allais dans les boutiques. Si les étagères des
boutiques étaient vides, j’allais dans les maisons. Il y avait
toujours des provisions, dans les maisons, surtout les grandes et
belles demeures où logeaient les dames en étoles de renard.
Il me fallait être patient. Trouver une porte non verrouillée
était difficile. J’ai appris à chercher les petits enfants qui
jouaient devant les grandes et belles demeures. Lorsqu’ils
rentraient, ils oubliaient souvent de fermer la porte à clé.
J’entrais à mon tour, parfois juste derrière eux. Certains se
retournaient et me demandaient qui j’étais, ce à quoi je
répondais : « Misha Pilsudski. » D’autres ne disaient rien. Ils
semblaient penser que j’étais de la maison pour franchir aussi
tranquillement les portes avec eux.
Je filais droit à la salle à manger ou à la cuisine. Les
événements dépendaient ensuite de qui était là et de la pièce où
se tenaient les occupants des lieux. S’il n’y avait que des enfants,
je lançais : « Où sont rangés les biscuits ? » ou bien « Où se
trouvent les bonbons ? » S’il y avait des adultes dans les
parages, je raflais la première chose que je voyais et
déguerpissais. S’il n’y avait personne ou seulement un très jeune
enfant, je prenais mon temps pour faire mes emplettes dans la
cuisine.
Une fois, j’ai pénétré dans une maison par une porte arrière
non fermée à clé. J’ai entendu des voix et des rires. J’ai traversé
la cuisine et, soudain, me suis retrouvé sur le seuil d’une pièce,
face à une famille qui dînait autour d’une longue table. Les
mets, l’argenterie et le cristal étincelaient. Au milieu de tout ça
trônait un magnifique oiseau rôti doré, une oie ou une dinde
peut-être. Je dois les avoir pris au dépourvu, car tout s’est arrêté
et ils m’ont regardé béer devant leur table. Mais ça n’a pas duré.
Comme d’habitude, j’ai été le premier à réagir. Sans doute la
règle la plus ancienne de mon existence. Bien que, en
l’occurrence, ça ait sûrement été dû à un réflexe de mes jambes
plutôt qu’à une réflexion (« bouge toujours le premier »). Tant
que je serais le premier, ils devraient me rattraper. Or c’était
impossible.
Agrippant l’oiseau par une patte, j’ai jailli par la porte de
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derrière avant même qu’ils se soient levés de leurs chaises.
Bien sûr, je ne pouvais me permettre ça qu’une fois par
maison, mais les
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