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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jerry Spinelli
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se
    font tirer dessus, ils doivent monter à cheval à l’envers et
    nettoyer les trottoirs avec leur barbe. Mais moi, j’ai pas de
    barbe. Je crois aussi que j’aimerais bien être peint en jaune.
    Il s’est tourné vers moi, sans me voir cependant.
    — Tu veux du saucisson ? J’ai du saucisson.
    57

    Longtemps, il n’a pas répondu. Finalement, il a hoché la
    tête.
    Je suis allé chercher le saucisson. Quand je suis revenu,
    l’homme avait disparu.

    À cette époque, Youri a soumis nos sorties en ville à des
    instructions strictes. Il fallait que je marche comme si j’avais un
    but précis. Que je regarde droit devant moi. Interdiction de rire,
    de crier, de danser ou quoi que ce soit qui risque d’attirer
    l’attention sur moi.
    — Sois invisible, m’a recommandé Youri.
    — Comme un ange ?
    Il n’a pas relevé. Il a dit que je devais avoir l’air de ne rien
    cacher, avoir l’air d’être à ma place ici.
    — Et surtout, a-t-il ajouté en enfonçant son index dans ma
    poitrine, n’aie pas l’air coupable.
    — C’est quoi, coupable ?
    — Faire quelque chose que tu n’es pas censé faire.
    — Facile ! Je ne suis jamais coupable.
    Pour moi, tous les actes étaient justifiés. Oublié, le vol du
    gâteau d’anniversaire de Janina.
    — Super. Rappelle-toi seulement de ne pas en avoir l’air.
    J’ai déniché un éclat de miroir. Me suis examiné dedans. Me
    suis entraîné à ne pas avoir l’air coupable. Ai marché de long en
    large dans l’écurie en ayant l’air d’avoir un but, l’air de ne rien
    avoir à cacher. Quand nous sommes partis au centre, au milieu
    de la foule, j’ai lancé à Youri : « Regarde ! » J’ai traversé la rue
    tout seul. Tête haute. Regard fixé sur l’horizon. J’avais le
    meilleur air pas coupable de tous les temps, le meilleur air de
    qui sait où il va. Une automobile m’a heurté.
    Ça a été un tout petit choc. Les freins ont crissé, la voiture a
    pilé et m’a touché juste assez pour me renverser. Le chauffeur a
    hurlé, les badauds ont observé la scène, et puis, très vite, Youri
    m’a tiré par le col de mon manteau tout en me bottant les fesses,
    déclenchant les rires des gens.
    Youri, lui, ne rigolait pas. Il m’a entraîné loin des regards,
    dans une sente, et m’a jeté par terre comme un sac de charbon.
    58

    — Je t’avais prévenu de ne pas attirer l’attention, espèce de
    petit crétin ! a-t-il sifflé. Imbécile !
    J’ai levé les yeux sur lui. J’ai acquiescé. J’étais redevenu un
    imbécile.
    Je ne l’avais jamais vu aussi en colère. Ses cheveux roux
    flamboyaient, sauf que, là, ce n’était pas parce qu’il riait. Il m’a
    assené un coup de poing sur le front. L’arrière de ma tête est allé
    cogner le mur.
    — Un jour, tu vas m’obliger à te tuer pour sauver ta peau. (Il
    a levé les bras au ciel.) Tu veux faire les choses à ta façon ? Tu
    veux te débrouiller seul ? Ne pas m’écouter ? Eh bien, vas-y !
    Me donnant un coup de pied, il est parti à grands pas. Le
    temps qu’il rejoigne la rue, je l’avais rattrapé.
    J’étais persuadé alors que je ne désobéirais plus jamais à
    Youri. C’était compter sans les beaux chevaux.

    59

13

    La première fois que je l’ai vu, c’est quand Youri m’a fait
    découvrir l’orphelinat. Il se trouvait dans un parc, pas très loin
    de la maison. J’en suis resté stupéfait : des chevaux qui
    tournaient en rond. J’ai d’abord cru qu’ils étaient réels. Me suis
    rendu compte qu’ils ne l’étaient pas. Ils étaient de bois peint et
    tournoyaient encore et encore au son d’une musique
    entraînante. Je me suis précipité vers eux. Suis resté planté là,
    ébahi. C’étaient les plus beaux animaux du monde – des
    rouges, des bleus, des de toutes les couleurs – drapés d’or et de
    fleurs, la tête haute, les sabots levés comme s’ils dansaient au
    rythme de la musique. J’ai à peine remarqué les enfants qui
    étaient perchés dessus.
    — Qu’est-ce que c’est ? ai-je demandé à Youri.
    — Un carrousel.
    Les bêtes virevoltaient, virevoltaient. Quand un des
    splendides chevaux passait devant moi, ses grands yeux noirs
    semblaient se poser droit sur moi. Ils avaient un port de tête si
    fier que j’ai compris à quel point les vrais chevaux qui se
    traînaient de par les rues étaient minables. Certains enfants
    sautillaient et poussaient des cris en prétendant galoper.
    D’autres paraissaient pensifs. L’un

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