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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jerry Spinelli
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grandes et belles demeures ne manquaient
    pas, à Varsovie.
    Youri m’attachait à son poignet avant que nous allions nous
    coucher, et c’en était fini de mes livraisons nocturnes à Janina.
    C’était donc en plein jour que je laissais des choses sur le perron
    arrière – une boîte de jambon, un pilon de poulet – sauf que je
    n’étais jamais certain qu’elles ne seraient pas dérobées.

    Lorsque le pain a commencé à disparaître, les arbres aussi.
    Je les ai entendus disparaître un matin, tôt. Sentant la laisse
    tirer sur mon poignet, j’ai rejoint Youri, près de la fenêtre du
    fenil. Dehors, des hommes, debout jusqu’aux genoux dans la
    neige, abattaient les arbres.
    — Pourquoi abattent-ils les arbres ? ai-je demandé.
    — Pour le feu. Le charbon manque. Ils ont froid.
    Dès que nous sommes sortis en quête de nourriture, nous
    sont parvenus les sons des haches et des scies. Et des arbres.
    Certains tombaient avec un bruit sourd presque silencieux dans
    l’édredon de neige. D’autres grognaient. Certains protestaient à
    grands cris. L’un d’eux, un gros costaud d’arbre plein de verrues
    monstrueuses, s’est rendu en poussant un long gémissement
    aigu qui ressemblait exactement aux pleurs d’un bébé.
    Bientôt, il n’est plus resté dans les parcs que des herbes
    sèches et des souches.
    Un jour, Youri est parti de son côté. Il est revenu avec un sac
    de charbon.
    — Des perles noires, a-t-il dit.
    Il les a portées au docteur Korczak pour que les orphelins
    aient bien chaud.
    Le lendemain, je me suis lancé à la recherche de perles
    noires. J’ai farfouillé loin dans les décombres des immeubles
    détruits, creusant des tunnels pour découvrir des seaux à
    charbon. J’en ai trouvé un par-ci, un par-là, mais ils contenaient
    surtout de la poussière de charbon. Quand mon sac a enfin été
    plein, j’ai marché fièrement jusqu’à l’orphelinat où j’ai
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    tambouriné avec le heurtoir de laiton.
    Un orphelin m’a ouvert la porte. Sa mâchoire s’est
    décrochée et ses yeux se sont écarquillés quand il m’a vu.
    — Je suis pas orphelin ! me suis-je empressé de crier. J’ai
    sept frères et cinq sœurs !
    J’ai tendu le sac. Il s’est enfui.
    Un instant plus tard, le docteur Korczak est apparu. De
    nouveau, j’ai tendu mon sac.
    — Des perles noires, ai-je annoncé. Pour vous garder bien
    au chaud.
    Sa grosse moustache blanche s’est étirée, et il a éclaté de
    rire.
    — C’est toi, la perle noire, a-t-il rigolé en me montrant du
    doigt.
    Il a filé. Est revenu avec un miroir.
    — Tiens, regarde !
    Un visage noir comme du charbon me dévisageait.
    J’ignorais que les yeux étaient aussi blancs. Je me suis inspecté
    – mes mains, mes vêtements. J’étais un morceau de charbon
    ambulant.
    — Je suis noir, ai-je dit, déclenchant de nouveau ses rires.
    — Pas pour longtemps.
    Prenant mon sac, il m’a entraîné à l’intérieur.
    — Bienvenu dans notre merveilleux foyer ! s’est-il exclamé
    avec un grand geste du bras.
    En un clin d’œil, je me suis retrouvé dans une chose appelée
    baignoire. Une dame à genoux me frottait avec une brosse et du
    savon. Au fur et à mesure que je redevenais blanc et ma pierre
    jaune, l’eau prenait la couleur des Bottes Noires.
    Au loin, j’ai entendu des rires, un bruit de course. J’ai senti
    les yeux d’un orphelin sur moi, sans réussir à repérer
    quiconque.
    Le docteur Korczak m’a apporté de nouveaux vêtements.
    Après Youri, il était le deuxième à faire ça. Tandis que je les
    enfilais, il s’est adressé à moi :
    — Alors, petit sac de chaleur, il me semble que tu es tsigane.
    Je me trompe ?
    — Non. Avant, j’étais un imbécile, mais maintenant je suis
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    juste un bêta.
    Il a ri. Beaucoup ri.
    — Qui t’a raconté ça ?
    — Youri. Youri est mon ami. Tu crois aux anges ?
    Cessant de s’esclaffer, il m’a regardé longuement.
    — Oui, je crois aux anges, a-t-il fini par répondre.
    — Moi aussi, ai-je affirmé, me décidant une bonne fois pour
    toutes. Youri croit au pain, lui.
    — Je crois au pain également, a-t-il approuvé en hochant la
    tête. Comment t’appelles-tu, petit homme ? a-t-il ajouté sans
    cesser de sourire (sa moustache semblait doubler son sourire).
    — Misha Pilsudski, ai-je annoncé avec fierté.
    — Ah ! Je vois6, a-t-il murmuré en haussant les sourcils.
    Il a opiné du bonnet et fermé les yeux. Il avait entendu
    parler de moi

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