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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jerry Spinelli
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    — Misha Pilsudski, a-t-il répété, l’air de savourer mon nom.
    Dis-moi, Misha Pilsudski, où habites-tu ?
    — Dans l’écurie. Avec Youri. Sauf qu’il n’y a plus de
    chevaux.
    — Serais-tu par hasard orphelin, Misha Pilsudski ?
    J’adorais son bouc encore plus que sa moustache. Il était
    blanc et semblait doux. J’avais envie d’y frotter mon visage. D’y
    grimper et de m’y blottir pour toujours. Après, je jetterais des
    coups d’œil dehors de temps en temps. Lui, je crois qu’il avait
    très envie que je sois orphelin. Le décevoir ne me plaisait pas du
    tout.
    — Oh non ! me suis-je pourtant écrié. J’ai sept frères et cinq
    sœurs. Et une mère, un père, et une arrière-arrière-grand-mère
    de cent neuf ans, et un cheval qui s’appelle Greta si je le
    retrouve.
    Je lui ai raconté comment les Bottes Noires nous avaient
    bombardés, et toute l’histoire.
    Ensuite, il m’a fait attendre quelques minutes. Quand il est
    revenu, il m’a emmené au grand salon. J’en suis resté bouche
    bée. Ils étaient tous là, les orphelins, garçons et filles, au garde-
    à-vous, en rangs d’oignons d’un mur à l’autre de la pièce.

    6 Voire note 3.
    54

    Le docteur Korczak a claqué des doigts et, aussitôt, tout le
    monde a crié :
    — Merci, Misha Pilsudski !
    J’étais gêné. Je n’ai su que dire. Le docteur Korczak m’a
    serré la main avant de me raccompagner.
    — Reviens nous voir, a-t-il lancé.
    Sur ce, je suis parti, avec mes vêtements tout neufs.

    55

12

    J’ai continué à apporter des perles noires au docteur Korczak et
    aux orphelins. À Janina, je déposais des perles noires et du pain
    quand je le pouvais. J’ai commencé à constater qu’il n’y avait
    plus de cadeau pour moi sur les marches. Un jour, j’ai frappé.
    Un homme a ouvert. J’ai tout de suite su qu’il était un Bottes
    Noires, bien qu’il soit en chaussettes. Sa veste grise et argent
    était déboutonnée, laissant voir un tricot taché et des bretelles.
    Il tenait une chope de bière.
    — Où sont Janina et sa famille ? ai-je demandé.
    Il m’a grommelé quelque chose dans la langue des Bottes
    Noires. Son haleine sentait l’oignon.
    — Janina ! ai-je répété en élevant le ton.
    Il a bu une gorgée de bière. Il a tendu la main sur le sac de
    charbon pendu à ma main. Je le lui ai tendu.
    — Des perles noires, ai-je expliqué. Pour Janina.
    Il me l’a arraché.
    — Juif ? a-t-il fait en me montrant du doigt.
    Ce mot-là, je connaissais.
    — Non. Je suis un tsigane, moi.
    Il a penché la tête, comme pour mieux entendre.
    Il a levé la main. Je me suis dit : « Il va me saluer » Mais
    non. Il m’a giflé. Puis il a renversé son verre de bière sur ma
    tête.
    Je lui ai repris le sac de charbon. L’ai lancé de toutes mes
    forces sur son pied débotté. Il a poussé un hurlement. Je me
    suis carapaté.

    Un matin, à l’écurie, alors que j’allais pisser dans la stalle
    que nous réservions à cet effet, j’ai vu un homme.
    Plié en deux comme un haricot et vêtu d’un long manteau
    noir, il était allongé sur la paille d’un autre box. Je me suis
    56

    accroupi à côté de lui. Tout à coup, un de ses yeux s’est ouvert,
    et il m’a dévisagé. Il s’est assis.
    — Tu vis ici ? ai-je demandé.
    Des brins de paille pareils à des mèches supplémentaires
    émergeaient de sa tignasse.
    — Je ne vis nulle part, a-t-il répondu.
    — Moi, je loge ici avec mon ami Youri. Tu veux habiter avec
    nous ? Il a regardé autour de lui, comme s’il cherchait quelque
    chose d’introuvable. Il a haussé les épaules.
    — Peut-être.
    — T’as déjà vécu dans une grande maison ?
    Je pensais à Janina.
    — La maison était grande, mais je n’en occupais que deux
    pièces.
    — Avec tes enfants ?
    Il m’a regardé.
    — Avec mes livres.
    J’ai examiné ses traits.
    — Toi, t’es pas juif, hein ?
    Il a détourné les yeux. S’est redressé.
    — Pourquoi dis-tu ça ?
    — T’as pas de barbe.
    Il s’est levé, a inspecté les alentours.
    — C’est parce que je ne suis pas juif. Quelqu’un t’a-t-il
    demandé de me poser la question ?
    — Non.
    — Je ne suis pas juif, a-t-il répété. Tu me crois ?
    — Oui. Moi non plus, je suis même pas juif. Je suis tsigane.
    Et je suis bien content de pas être juif.
    Il a marché jusqu’à la fenêtre la plus proche, a observé la
    rue.
    — Ah bon ?
    — Je crois. Sauf que, des fois, j’en suis pas sûr. Les juifs

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