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Milena

Milena

Titel: Milena Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Margarete Buber-Neumann
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excéder cette longueur.
    Je me rappelle avoir assisté en 1942 à une explosion de
douleur collective à la suite de la distribution du courrier. Il y avait, dès
1940, des centaines de Tziganes à Ravensbrück. On les avait déportées au camp
du fait de leur caractère « asocial » et de leur « infériorité
raciale ». En 1941, on installa près du camp d’extermination d’Auschwitz
ce qu’on appelait un camp de familles, destiné aux Tziganes. Des familles
entières de Tziganes y vivaient, hommes, femmes, enfants, certes privés de la
liberté de circuler, mais soumis à des conditions de détention encore
relativement clémentes. Par la suite, on sépara les familles, on plaça les
hommes d’un côté, les femmes et les enfants de l’autre dans des camps de
concentration « normaux ». C’est, je crois, fin 1942 que l’on
entreprit de liquider les Tziganes. Voici comment nous l’apprîmes à Ravensbrück :
peu après la distribution du courrier, on vit se précipiter hors de leurs
baraques les Tziganes ; elles tenaient à la main des lettres qu’elles
venaient de recevoir et convergeaient vers l’allée du camp en hurlant ; presque
toutes ces lettres avaient le même contenu : leur mari, leur fils, leur
frère, leur neveu était « mort à l’hôpital ». Elles clamaient leur
douleur, déchiraient leurs vêtements, se frappaient le visage, donnant libre
cours à leur désespoir à la manière orientale, balayant toute discipline du
camp. À dater de ce jour, la censure du courrier devint plus rigoureuse encore.
    En dépit de cela, les détenues attendaient le samedi – c’était
le seul jour où les SS distribuaient le courrier – avec autant d’impatience que
d’inquiétude. Pendant les premières années d’existence du camp, les cent cinquante
mots que recevait chacune constituaient le seul contact avec les proches vivant
en liberté. Le simple fait de voir une écriture familière était synonyme de
consolation, mais aussi de désespoir. Combien ces lettres firent-elles verser
de larmes !
    Chaque mois, Milena écrivait à son père et recevait une
lettre de lui. Toutes les lettres qu’il lui envoyait étaient sources d’un
nouveau conflit ou, plus exactement, faisaient resurgir tout le passé. Malgré
cela, Milena essayait de ne pas être injuste avec lui.
    À la Noël 1941, la direction du camp eut un accès de bonté. Pour
la première fois dans l’histoire du camp, les parents des détenues furent
autorisés à leur envoyer un colis dont le poids et le contenu étaient
précisément déterminés par les SS. Chose plus étonnante encore : chaque
détenue pouvait recevoir une veste de laine.
    Toute à ma joie, je courus voir Milena, mon paquet entre les
mains, et lui montrai la veste de tricot jaune d’or qu’il contenait ; je
ne saisis alors pas du tout pourquoi elle hésitait à me montrer le cadeau qu’elle
avait reçu. Puis je compris qu’elle avait honte du mauvais goût de son père qui
avait joint au colis la veste typique d’un costume régional, celui du Tegernsee.
Je la consolai et lui demandai quel genre de vêtements elle portait avant son
emprisonnement – mais j’avais à nouveau remué le fer dans la plaie : Milena
avait été atteinte d’une grave maladie qui l’avait fait considérablement
grossir ; elle avait donc perdu tout plaisir à porter de beaux vêtements. Mais
à présent, au camp, elle était redevenue mince, comme au temps de sa jeunesse, et
elle voyait les choses autrement. Elle oublia l’absurde veste de costume et
nous commençâmes à nous enivrer des souvenirs de notre élégance passée : Milena
se voyait déjà dans un de ces costumes de sport qui lui étaient toujours si
bien allés.
    *
    Une photo de Milena adolescente a été conservée. On l’y voit,
debout, au bord de la Moldau ; elle porte un tailleur rayé avec une longue
et ample jupe plissée, un bonnet plat sur la tête, des gants, des chaussures
montantes à lacets ; elle tient un élégant parapluie à la main. Tout cela
sent les bonnes manières, est conforme à ce qui était convenable à l’époque. On
voit se dessiner sur le fond plus clair son profil encore enfantin, doux, avec
le nez retroussé des habitants de la Bohême et l’abondante chevelure qui lui
retombe sur le front. Milena devait avoir treize ans quand cette photo fut
prise. À cette époque, sa mère vivait encore et la faisait habiller par une
couturière. Évoquant cette époque, Milena

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