Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Milena

Milena

Titel: Milena Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Margarete Buber-Neumann
Vom Netzwerk:
Milena se réveillait
en sursaut, en proie à des sentiments de culpabilité. Elle s’élançait vers le
lit et aidait la malade à se redresser contre ses coussins. Mais la même scène
se répétait un instant après. Puis le père arrivait enfin à la maison, tout
excité par ses parties de cartes ou ses visites auprès de ses amies. Parfois, Milena
succombait à un désarroi total quand elle pensait à ses parents. Il lui
semblait que son père qui s’efforçait toujours de réconforter sa femme en la
faisant rire, en plaisantant, ne faisait ainsi que la blesser et lui faire
éprouver de manière plus douloureuse encore sa déchéance physique. Milena
aimait tendrement sa mère, depuis toujours, mais, dans cette situation, ses
jeunes forces l’abandonnaient, ses nerfs craquaient. Un jour, incapable de répondre
aux exigences de la malade, elle succomba à l’énervement et jeta sur le sol le
plateau sur lequel on avait apporté le repas de sa mère. Les souffrances
endurées par la malheureuse qui s’éteignait lentement étaient si atroces que sa
mort fut, en fin de compte, une délivrance pour Milena.
    *
    Milena avait treize ans quand sa mère mourut et, du jour au
lendemain, elle se trouva autonome, disposant de son temps à sa guise – abandonnée
à elle-même, plus exactement. Elle était alors, me dit-elle, un tendron exalté,
d’un tempérament aussi sentimental que rebelle. Une nuit, elle ne rentra pas à
la maison. Elle avait loué une chambre dans quelque hôtel de troisième
catégorie et y passa la nuit, absolument seule. C’était une aventure des plus
excitantes. Ce n’était pas seulement l’impression exaltante d’être adulte ;
enfermée dans cette chambre d’hôtel, elle espérait aussi percer à jour les
secrets qui entouraient ces lieux mal famés. Elle passa la nuit en proie aux
fantaisies érotiques les plus confuses – mais rien ne s’y passa.
    Elle n’en resta pas à cette expédition nocturne. Le
cimetière exerçait une force d’attraction magique sur elle. Elle s’asseyait, la
nuit, sur le mur du cimetière et s’abandonnait, les yeux pleins de larmes, à
son spleen.
    De terribles scènes éclataient lorsque le père avait vent de
ses extravagances ; mais, plus il s’emportait, plus elle les multipliait. Ce
n’étaient pas les occasions qui lui manquaient. Personne ne contrôlait si elle
restait le soir à la maison et elle allait ainsi au gré de ses aventures, se
soustrayant, triomphante, à la tutelle de son père. Le peintre Scheiner lui
proposa de poser comme modèle pour illustrer des contes ; c’est ainsi qu’à
peine sortie de l’enfance elle fit son entrée dans le milieu artistique ; il
s’agissait en l’occurrence du groupe ultra-conservateur Jednota. Ses aventures
d’atelier lui administrèrent un choc violent et ce n’est qu’avec répulsion qu’elle
repensait à cette époque. Je l’entendis une fois résumer ainsi ses griefs à l’égard
de son père, mais en fait à l’égard de tous les parents, voire à son propre
égard : « On met des enfants au monde sans réfléchir à rien, on se
donne tout juste la peine de les connaître, puis on les jette dans la vie :
“Va, débrouille-toi ! “ »
    Dès l’âge de quinze ans, Milena faisait à son entourage l’effet
d’une personne adulte. Elle n’avait plus rien d’une gamine, elle avait mûri, elle
s’était forgé une personnalité, et ressemblait davantage à une jeune femme qu’à
une adolescente, aussi bien physiquement qu’intellectuellement. Dès cet âge, elle
possédait l’étonnante faculté de se situer au niveau des adultes qu’elle
rencontrait. Sans doute les conflits permanents avec son père avaient-ils leur
part dans cette maturité précoce – car elle devait mobiliser toutes ses forces
pour tenter d’échapper à son influence.
    À cet âge, Milena lisait avec passion, essentiellement des
romans de Hamsun, Dostoïevski, Meredith, mais aussi Tolstoï, Jakobson et Thomas
Mann. Il est difficile de déceler d’où lui vint, si tôt, la capacité de faire
le juste choix et de saisir ce qui compte, ce qui est important pour la vie
humaine. Dans son entourage domestique, elle ne trouvait rien sur quoi prendre
appui, son intelligence devait se développer de son propre élan. Elle rejetait
tout ce qui était bas, sale et surtout de mauvais goût. Non pas par penchant
esthétique, mais tout simplement à cause de l’aversion, du dégoût que lui
inspirait tout

Weitere Kostenlose Bücher