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Milena

Milena

Titel: Milena Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Margarete Buber-Neumann
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me raconta l’histoire suivante :
    « C’est vers quatorze ans que j’ai reçu mon premier
bouquet de fleurs, un vrai bouquet qui venait de chez le fleuriste Dittrich, avec
une carte de visite où était écrit “Mademoiselle”. Et ceci au vu et au su de
tout le monde, à la face du monde entier ! Ce bouquet, je l’ai reçu en
récompense du premier baiser que j’aie donné au premier galant de ma vie. Veux-tu
savoir comment les choses se sont passées ? Ce fut une histoire plutôt
drôle que joyeuse et quand j’y repense aujourd’hui, ce n’est pas sans une
certaine angoisse. Un ami de mon père, le conseiller Matuš – qui était grand
skieur, grand amateur de sport –, était atteint de cataracte ; pendant des
mois, il fut menacé de perdre la vue. C’était un homme de la vieille école, célibataire,
valseur réputé, un homme droit et honnête, courageux et nullement calculateur, pas
davantage en ce qui concernait l’amour que l’argent. Bref, un vrai gentleman
comme on n’en trouve plus aujourd’hui. J’allai donc lui rendre visite à l’hôpital
et, dans mon étourderie enfantine, achetai un bouquet de violettes. Mais lorsqu’on
me conduisit près du malade et que je l’eus vu, les yeux bandés, enfermé dans
une pièce sombre, voué à l’inaction et à une terrible incertitude (reverrait-il
jamais la lumière du jour ?), j’eus terriblement honte du bouquet de
violettes que j’avais acheté avec tant de légèreté et d’étourderie – il était
bien incapable de le voir. J’étais tourmentée par l’idée que je lui avais fait
un cadeau qui lui causerait davantage de peine que de joie et lui ferait
vraiment prendre conscience de sa détresse. En proie au désir ardent de réparer
ma bévue et de lui offrir rapidement quelque chose qu’il pût apprécier en dépit
de ses yeux malades, je me jetai à son cou et lui donnai un baiser. Ce fut le
premier baiser de ma vie et ce ne fut pas agréable du tout. Matus n’était pas
rasé et, dans mon agitation, je l’embrassai sur le nez d’abord, puis le baiser
glissa sur le menton. Mais une fois que j’eus conduit la chose à bonne fin, je
fus absolument incapable de dire quoi que ce soit ou d’expliquer ma conduite ;
je balbutiai quelques mots inintelligibles, quelque chose du genre : “N’allez
pas croire… “, tout en ignorant complètement ce qu’il pensait et ce qu’il y
aurait eu à “croire ‘‘. J’étais en proie au désarroi le plus complet et de
véritables larmes de petite fille commencèrent à couler le long de mes joues. Mais
à la maison arriva un superbe bouquet de lilas, avec une carte de visite sur
laquelle on pouvait lire “Mademoiselle”. Il y avait encore quelques mots
évoquant “le plus beau cadeau que puisse recevoir un malade”, ce qui montrait
que Matuš avait très bien compris quelle avait été mon “intention ‘‘. Mon père
me dit alors : « Tu vois, ça c’est un gentleman [5] .” »
    Jan Jesensky était un homme d’une élégance ostentatoire, qui
le faisait paraître beaucoup plus jeune qu’il n’était réellement. Milena se
souvenait d’une scène qui eut lieu dans sa petite maison de campagne des
environs de Prague où il passait quelques jours en compagnie de ce « gentleman »,
le conseiller Matuš. Tous deux étaient alors âgés de cinquante ans. Matuš
contemplait le paysage et il dit en soupirant : « Cela fait déjà
cinquante ans que je vois ces arbres. Les années se suivent et se ressemblent, rien
ne vieillit comme nous. La campagne verdit, fleurit, jaunit… » Jesensky était
foncièrement imperméable à un tel abattement ; il répondit : « Ah,
ces arbres ! Cela ne fait jamais que cinquante ans que je les vois,
chaque année, c’est comme si je les voyais pour la première fois, et il en sera
toujours ainsi. »
    *
    La mère de Milena fut malade pendant des années. Elle
souffrait d’anémie pernicieuse. Son père trouvait bon, ne fût-ce qu’à des fins
éducatives, que sa fille prit part aux soins qu’il fallait apporter à cette
grande malade. Chaque jour, Milena demeurait auprès de sa mère jusqu’à ce que
son père vînt la relever, bien qu’elle ne fût âgée que de treize ans. Il n’arrivait
souvent qu’à la nuit tombante. La mère était assise, toute droite dans son lit,
appuyée sur de nombreux coussins et Milena s’efforçait de ne pas s’endormir sur
sa chaise. Chaque fois que sa mère plongeait de la tête,

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