Mon Enfant De Berlin
s’éloigner et un début d’allégresse l’envahir. La beauté et la ferveur de cet office religieux effacent la mesquinerie du premier. Quelques regards à ses parents ont achevé de la rassurer : ils semblent heureux de marier leur fille dans cette église et selon ce rituel.
Plus tard, sur les marches et dans les allées du jardin entourant la cathédrale, les familles et les amis font plus ample connaissance. On y parle russe, français, anglais avec une sincère bonne volonté, un désir unanime de gentillesse. Les filles de la Croix-Rouge remportent un franc succès. Leur gaieté, leurs liens si forts avec les jeunes mariés, impressionnent ceux qui les rencontrent pour la première fois. Elles vont d’un groupe à l’autre s’assurant que personne n’est à l’écart ou esseulé. Parfois Mistou ou Rolanne s’échappent pour aller embrasser Claire. « Ça fraternise partout ! » murmure l’une. « Quel mariage merveilleux ! » ajoute l’autre. Plumette en tant que chef de section a l’œil sur tout. « Ça a de la gueule, approuve-t-elle, ça a de la gueule ! » Il fait beau, chaud, les lilas embaument et les Français, devant la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, se croient pour un moment en Russie. Une Russie pacifique, loin de l’actuelle U.R.S.S. qui menace à nouveau l’équilibre du monde, dit-on de plus en plus souvent.
Tout en écoutant les bavardages d’un ex-colonel de l’Armée blanche, Olga observe à la dérobée les parents de Claire qui devisent avec les parents de Wia. Elle est frappée par ce qui différencie les deux couples, par l’élégance de François Mauriac et de son épouse, les tenues de mauvaise confection des deux autres. C’est surtout visible chez les femmes. La mère de Claire porte une capeline en paille de riz et une longue robe grise en soie qui met en valeur sa minceur, la finesse des traits de son visage. La mère de Wia est boudinée dans une robe bleue usée et elle porte, malgré la chaleur estivale de cette journée de juillet, un vilain chapeau sombre et un vieux renard autour du cou. « Pauvre chère princesse Sophie, elle ne sait plus comment s’habiller, comment se comporter », pense Olga. Et une immense tristesse l’envahit.
Lettre de Claire :
« Berlin, 12 juillet
Chère adorable petite maman,
Je ne vous ai pas écrit plus tôt car l’avion ne part que demain matin.
Le voyage s’est très bien passé. Nous avons éclaté à 115 et l’auto n’a presque pas bougé. Nous avions décapoté la voiture dès la rue Raynouard. Vous imaginez nos figures à l’arrivée à Berlin : cuites, rouges, etc.
Grâce au ciel nous avons trouvé notre chambre arrangée dans mon ancienne chambre, au 96. Vous imaginez ma joie de ne pas avoir à courir à l’autre bout de Berlin.
J’ai été accueillie par des fleurs et des fleurs. Vous ne pouvez imaginer combien tout le monde est gentil avec moi.
Ce soir, grande réception. J’avoue que cela ne m’amuse pas. Je vais être obligée de rester à l’entrée avec Rosen pour recevoir les gens. Drôle de travail !
Je pars en principe demain vers les 2 heures avec Wia.
Ma santé n’est pas mauvaise si ce n’est la migraine qui va et vient sans savoir ni comment ni pourquoi.
Wia est un amour et je n’ai pas encore envie de divorcer.
Ma maman adorée je vous quitte en vous embrassant de toutes mes forces. Je vous adore, surtout n’oubliez pas que je vous adore plus que tout au monde.
Je suis tellement heureuse d’être votre fille. Je tâcherai d’être digne de vous.
Ma maman, je vous embrasse encore des millions de fois.
13 juillet
On s’est couchés à 4 heures. Ç’a été assez formidable. Tous les généraux de tous les pays étaient là. Les gens ont beaucoup bu et étaient contents. Nous partons à 2 heures. Je vous adore. »
Claire et Wia n’ont guère dormi, leurs valises restent à faire et la plus grande pagaille règne dans l’ancienne chambre des cocottes que Mistou a quittée. Dans la salle de bains attenante, Wia fait sa toilette en sifflant L’Internationale , apprise auprès de ses camarades soviétiques. Il a été le premier debout — alors que Claire ne pouvait se résoudre à quitter le lit —, immédiatement de bonne humeur, pressé de partir, pressé de vivre. « C’est invraisemblable, un caractère pareil », pense Claire. Elle continue de s’étonner d’être mariée à cet homme-là, ce
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