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Mon Enfant De Berlin

Mon Enfant De Berlin

Titel: Mon Enfant De Berlin
Autoren: Anne Wiazemsky
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une drôle de façon de s’habiller. Elles sont immondes et on regrette l’époque où seul l’uniforme était permis.
    Chère petite maman, je vous quitte en vous embrassant très tendrement malgré votre méchanceté.
    À bientôt j’espère. »
     
    6 heures.
    Enfin une lettre, elle arrive juste maintenant. Elle m’a fait beaucoup de plaisir. Comme je vous envie d’être à Malagar, avec encore le bel été. J’ai la photo devant les yeux. Ce n’est pas les G. Duhamel, ni même Claude, ni même papa que je regarde sans arrêt avec une affreuse avidité, mais le mur blanc avec les ombres de ces larges feuilles que j’aime tant.
    Maintenant parlons de moi puisque vous me le demandez. Je crois en effet que j’attends un enfant, mais je n’en suis du tout sûre ; c’est pour cela que je ne voulais pas vous en parler et je vous supplie de ne le dire à personne. Je commence mon deuxième mois sans règles. Si c’est cela, je ne suis pas à plaindre car si j’ai un petit fond continuel de mal au cœur, je n’ai jamais eu de véritables nausées. Je n’ai pas encore grossi, si ce n’est de la poitrine qui me paraît énorme et qui est assez douloureuse.
    Je fais naturellement très attention. Aucun sport, de l’ambulance tous les 36 du mois quand il n’y a personne d’autre. Je suis tellement fatiguée que je me couche très tôt et me lève très, très tard.
    C’est uniquement pour cela, comprenez-vous, que je n’ai pas osé aller à Malagar. J’avais peur du voyage. Si vous saviez pourtant combien j’en avais envie. C’est aussi pour cela que j’ai choisi la fin du mois pour aller à Paris, car il me semble que ce sera le moment de voir un médecin.
    Ceci dit, cela m’étonne de ne pas avoir davantage mal au cœur et peut-être l’enfant n’est que dans mon imagination.
    Je ne sais pas encore moi-même si je serai très contente. Pour le moment, je suis désespérée d’avoir un corps sans réaction devant la vie : plus envie de courir, plus envie de m’amuser. Mon corps ne sent plus la vie, sa vie propre, je ne le reconnais plus et j’ai l’impression qu’il est mort, dévoré par quelque chose d’inconnu qui, que je le veuille ou non, me prend tout. Et pour le moment, je suis jalouse de ce rien du tout qui va me déformer et je déteste à l’avance ces neuf mois où je me serai perdue pour peut-être ne jamais me retrouver.
    Et puis brusquement, je vois un gosse et je suis folle de joie. Au fond, je manque d’imagination. Je ne peux pas donner une figure et une âme à ce que j’éprouve en ce moment.
    Et puis, où le mettre, cet enfant ? Où serons-nous dans neuf mois ? Si j’avais une maison à moi, je la préparerais avec amour. Dans trois, quatre mois, lorsque je me traînerai tel un monstre, il me sera alors impossible de rester ici. Je ne me vois pas circulant dans les escaliers du 96 en uniforme et en gros ventre. Peut-être aurai-je moins de pudeur à cette époque, mais en ce moment l’idée seule manque de me faire faire une fausse couche. Où aller ?
    Je ne pourrais pas non plus vous envahir avec toujours ce gros ventre devant moi, et puis surtout, il me faut un endroit où poser ce gros ventre quand il n’en pourra plus d’être gros. Alors, alors, il me faut à moi aussi un appartement. Je n’ai aucune idée des prix. J’aimerais tellement avoir un endroit à moi où l’attendre et où le mettre.
    Fini pour ce soir. Je vous embrasse de toutes mes forces. Serez-vous contente d’avoir un petit-fils ?
    Embrassez très fort pour moi, papa, Claude, Jean et Luce.
    À très bientôt ma maman.
     
    P.-S. Je ne suis pas encore habituée à mon nouveau nom. Où est mon si adorable nom de Mauriac... »

 
    À proximité du Kurfürstendamm, quelques salons de thé se sont ouverts qui tentent de donner aux clients une impression de luxe et de confort. Celui choisi par Wia se distingue par la cheminée où brûle en permanence un grand feu, des fenêtres avec des carreaux de couleurs et l’abondance des pâtisseries. Des jeunes et jolies Berlinoises en robe noire et tablier blanc assurent le service sous l’œil vigilant d’une femme plus âgée. Elles vont et viennent entre les tables, silencieuses, souriantes. Claire s’intéresse à elles et néglige un peu l’invitée de Wia, sa cousine préférée, Tatiana, qui a épousé le prince Paul de Metternich au début de la guerre.
    C’est une grande et très belle femme, emmitouflée dans un luxueux
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