Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Mon Enfant De Berlin

Mon Enfant De Berlin

Titel: Mon Enfant De Berlin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Wiazemsky
Vom Netzwerk:
qu’une vague d’amour et de gratitude l’envahit. Elle ne réalise pas le silence qui s’est fait autour d’elle, l’attention de Wia, de Rolanne et d’Olga suspendus au moindre de ses gestes.
    — Mon enfant de Berlin, murmure-t-elle encore.
    Avec prudence, avec timidité, elle embrasse les mains, le front, le duvet doré sur la tête. Et soudain, avec un mélange d’humour et de reproche :
    — Mon Dieu, Wia, tu ne m’avais jamais dit qu’il y avait des roux dans ta famille !

 
    — Et le bébé, c’était toi. Tes parents ont été les premiers à s’aimer, les premiers à se marier et toi, la première à naître. C’est pourquoi tu es restée, au-delà de toutes ces années, notre premier enfant, notre enfant de Berlin. Mes fils sont nés ailleurs, ceux de Mistou aussi et ton frère à Rome, si je me souviens bien.
    Olga savoure le récit qu’elle vient de faire. Il lui a permis de partir loin, très loin dans le passé à la recherche de souvenirs heureux. Ce sont les mêmes que ceux de Claire, Wia, Rolanne, Plumette, Mistou et Léon de Rosen. Tous pensent avoir vécu à Berlin les plus belles années de leur vie, les plus intenses. Ils étaient jeunes, avec un désir fou d’oublier les souffrances de la guerre, d’aider les autres. Rechercher les personnes disparues, les retrouver, les sauver était un idéal à la hauteur de leurs exigences. Cet idéal a cimenté leur amitié. Ils furent toutes et tous sur ce sujet d’une discrétion et d’une modestie admirables.
    Aujourd’hui, en 2008, seules Olga et Plumette peuvent en témoigner. Wia est mort le premier, très tôt, beaucoup trop tôt. Trente ans après, ce fut le tour de Claire, puis de Rolanne, de Mistou et de Léon de Rosen.
    Dans son appartement, près de la cathédrale orthodoxe russe Saint-Alexandre-Nevsky de la rue Daru, Olga continue de se souvenir. Elle prend mes questions très au sérieux, ne veut pas se tromper dans ses réponses. Ses silences, quand elle réfléchit, sont des pauses qui me permettent de voir s’incarner, comme ressuscités, ces êtres maintenant disparus. Mon admiration à leur égard l’étonne.
    — Nous avions eu la chance d’avoir survécu, cette mission de recherche des personnes disparues s’est improvisée dans l’urgence. Nous ne nous connaissions pas, nous venions de milieux très différents mais nous avions ça en commun : être en vie. Et puis il y avait la fantastique énergie de Léon et de Wia, le courage des filles de la Croix-Rouge, et puis...
    Un sourire malicieux éclaire le beau visage d’Olga.
    — ... et puis il y a eu cet amour entre tes parents. Un amour qui nous éblouissait, qui rejaillissait sur nous et qui nous soudait tous ensemble. Quelque chose qui nous rendait incroyablement heureux et solidaires de leur bonheur, de leur mariage, de ta naissance, mon enfant de Berlin.
    Nouveau silence. Aucun bruit ne résonne dans le grand appartement vide. Sur le plateau, le thé est froid depuis longtemps et nous n’avons pas touché aux gâteaux disposés avec soin par Olga, deux heures auparavant. C’est un après-midi d’hiver, il fait sombre. Je me lève pour allumer quelques lampes. Je contemple, dans leur cadre, des photos d’Olga et de Léon de Rosen qui se sont mariés en 1948 juste avant la dispersion de l’équipe du 96 Kurfürstendamm ; des portraits de leurs enfants aux différents âges de la vie et de leurs nombreux petits-enfants. Photos de groupes, photos de fête, photos d’une famille unie. Une boule de chagrin me serre la gorge. Je pense à Claire et Wia, à leurs courtes années de bonheur.
    Olga est restée une femme très intuitive qui semble comprendre ce que j’éprouve. Ou bien nos pensées suivent plus simplement la même direction.
    — Après Berlin, la vie ne fut plus jamais comme avant. Elle ne nous a pas distribué que des cadeaux, comme tu sais.
    Elle cherche ses mots.
    — Tes parents qui se sont tant aimés, ont buté plus tard sur tout ce qui les différenciait. C’était vraiment le jour et la nuit. Il faut que tu les imagines. Ton père, solaire, débordant d’énergie, extraverti, toujours prêt à faire la fête ; ta mère, par moments tellement sombre, pas pressée d’aller au-devant des autres et migraineuse, si migraineuse... En voyant Claire et Wia au moment de leur mariage, je me souviens avoir pensé : « Une vitalité comme celle de Wia et les migraines et les crises de foie de Claire... Il ne peut pas la

Weitere Kostenlose Bücher