Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
alors pris pour Belzec), Jan Karski se dit guidé par un gardien letton et déguisé en gardien letton, ce qui était plausible, mais en l’occurrence inexact. Ces gardiens étaient ici de nationalité ukrainienne, et Karski a procédé à leur « camouflage » sur consigne du gouvernement polonais de London qui espérait encore possible de conserver Lwow (aujourd’hui Lviv) à la Pologne (comme le lui avait promis Anthony Eden) et voulait ainsi ménager l’importante émigration ukrainienne. Notre édition rétablit sur ce point la vérité, comme le fit Karski en 1999 dans la première édition polonaise de son œuvre.
Sous une couverture ornée de l’Aigle blanc polonais, The Story of a Secret State parut le 28 novembre 1944, mais dès septembre, Reeves avait su placer deux chapitres en bonnes feuilles dans la presse : Colliers et The American Mercury publièrent la tragédie des Juifs et, pour ses lectrices, Harper’s Bazaar fit paraître le chapitre sur le rôle des femmes dans la Résistance. Book of the Month Club, qui a lui seul représentait six cent mille lecteurs et garantissait la vente de deux cent cinquante mille exemplaires de ses sélections, choisit The Story of a Secret State comme « livre du mois » pour décembre 1944. Le tirage total de l’édition américaine atteignit, on l’a vu, les quatre cent mille exemplaires. Pendant six mois, Jan Karski parcourut les États-Unis de conférence en conférence, à l’initiative de clubs et associations qui se l’arrachaient. L’ambassadeur Ciechanowski adressa le 20 décembre 1944 un exemplaire dédicacé par l’auteur au président Roosevelt, accompagné d’une lettre lui rappelant « l’audience qu’il avait eu la gentillesse d’accorder le 28juillet 1943 » au lieutenant Jan Karski. Et Sterling North relevait dans le New York Post : « Les Polonais de Lublin liés à Moskva seront furieux quand ils liront ce livre. Jan Karski vole aux communistes leur marche victorieuse. »
En mars 1945, le magazine Soviet Russia Today, largement diffusé aux États-Unis, publia sous la signature d’une « Eve Grot » inconnue un article intitulé « Not the Whole Story », une suite d’attaques venimeuses contre le gouvernement polonais de London et la résistance intérieure, mais aussi, nommément, contre Jan Karski. Il y était qualifié d’aristocrate ignorant tout du peuple laborieux, et de « provocateur » qui osait dénigrer l’effort de guerre des Alliés et appeler la conférence de Yalta « un nouvel accord de München ». (Karski, sortant de sa réserve, avait effectivement usé de ces termes en public.) Mais, qui mieux est, cet article dénonçait aussi en Karski « un antisémite lié aux nationalistes polonais ». De l’avis de Jan Karski, cette prose eut un effet négatif sur la promotion du livre. Bientôt, l’euphorie de la victoire commune et l’enthousiasme soulevé par la valeureuse Russie rendaient le livre inopportun. À l’exception de la version française publiée en 1948, les traductions convenues et préparées en espagnol, portugais, chinois, hébreu et arabe n’aboutirent pas, les éditeurs ne donnant plus suite.
Jan Karski ne se faisait plus aucune illusion dans la conjoncture de l’hiver 1944-1945 sur le bénéfice réel pour la Pologne et son gouvernement légal du succès de son livre : « Je souligne une fois encore que mon succès actuel a un caractère automatique. Il est le résultat de dizaines de milliers de dollars investis par Book of the Month Club et Houghton Mifflin Co dans la publicité du livre et de ma personne. »
Lui-même se sentait usé, sa santé très altérée : dans ses lettres à Stanislaw Kot, il précisait que durant les quatre mois (d’avril à juillet 1944) de préparation et d’écriture du livre, il avait poursuivi ses missions de propagande : six émissions radio, vingt conférences, dix jours de tournée à Détroit incluant six rassemblements : « Je dois prévenir et mettre en garde : mon travail devient de plus en plus difficile ; mon sujet et l’esprit de mes conférences et de mes réponses plaisent de moins en moins et suscitent de plus en plus de réserves. C’est lié bien évidemment à la situation politique générale. De temps en temps, il y a des attaques, et à l’avenir il y aura je pense des attaques contre ma personne et le sujet des mes conférences. » ( Cf . Stanislaw M. Jankowski, Karski. Raporty, op. cit.)
Il insista
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