Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
passé, mais appréciaient tous sa « distinction » et ses conférences limpides et rigoureuses, « de grands moments d’éloquence ». Parmi ses étudiants de la promotion 1968 : Bill Clinton.
Il avait retrouvé en 1954, à l’occasion d’un spectacle de danse contemporaine dans une synagogue de Washington, Pola Nirenska (1940-1992), née Nirensztajn, à Warszawa, qu’il avait vue pour la première fois à London en 1938. Ils se marièrent en juin 1965. Pola, dont les parents avaient réussi à gagner la Palestine, mais dont le reste de la famille avait péri, s’était convertie au catholicisme. Ils étaient convenus de ne jamais parler entre eux du passé.
Le professeur Jan Karski poursuivit pendant des années, à côté de ses obligations à l’Université, la préparation du livre qui lui tenait à cœur, consacré à la politique des grandes puissances à l’égard de la Pologne. Ce seront sept cents pages publiées en 1985 sous le titre : The Great Powers and Poland, 1919-1945. From Versailles to Yalta. « Un livre triste », dira-t-il. La masse d’archives analysées l’autorise désormais à conclure que, dans leur jeu cynique avec la Pologne, « Churchill a été plus fautif, mais Roosevelt plus nuisible ».
« Je n’ai pas écrit un seul article pendant plus de trente ans sur mon action pendant la guerre, soulignait Karski en 1987 dans ses entretiens enregistrés avec son biographe Stanislaw M. Jankowski. Et mon passé m’a rattrapé ! En 1977, arriva le régisseur français Claude Lanzmann, puis ce sera Élie Wiesel, Hausner, Yad Vashem, les films, les articles, les journaux…»
Ces années 1978-1985 où l’ancien émissaire « Witold » de la résistance polonaise témoigna à nouveau, rectifia, précisa la signification éthique et historique de sa mission extraordinaire de novembre 1942, confiée par ses concitoyens les Juifs polonais, ces années forgèrent son visage et son propos désormais reconnus de « témoin », et sa position – dérangeante pour certains – que résume le titre donné à sa première biographie, en 1994, de celui « qui a tenté d’arrêter l’Holocauste »… mais qui « n’a pas été entendu », selon Bronislaw Geremek ou, selon Élie Wiesel, celui qui a fini, très tard, à l’été 1944, par susciter un sursaut des consciences de la part des Alliés, en faveur des Juifs de Budapest.
Si c’est Claude Lanzmann qui, par son insistance des années 1977-1978, a déverrouillé une mémoire intacte, Jan Karski s’était déjà beaucoup exprimé dans le droit-fil de son intervention bouleversante d’octobre 1981, lorsque parut enfin Shoah au printemps 1985. Dès sa sortie à Paris, Giedroyc demanda à Karski d’écrire pour Kultura ses premières impressions et avis, en forme d’article-recension. Celui-ci parut dans le numéro de novembre 1985 de la revue, et fut publié en français par Esprit en novembre 1986 et pour les Américains dans Together, en juillet 1986. Karski y affirmait son admiration sincère pour le film tel qu’il est. Toutefois, il émettait le regret que les quarante minutes choisies sur les huit heures tournées avec lui ne soient pas centrées sur « ce que lui seul pouvait dire » : la surdité de l’Occident à l’appel de détresse des Juifs du ghetto de Warszawa qu’il avait fidèlement transmis.
Par ailleurs, Jan Karski s’employa désormais à défendre l’idée d’un film « complément à Shoah » qui montrerait, pour ne pas désespérer « les générations actuelles et futures », que l’humanité a été sauvée dans ce désastre par les milliers de gens simples qui ont aidé une petite minorité de Juifs à survivre. Ce fut encore le thème de la contribution intitulée « Sous les yeux du monde », qu’il a adressée en janvier 1993 pour le cinquantième anniversaire de l’insurrection du ghetto de Warszawa, où il a évoqué les « Karski’s reports » retrouvés par des historiens tels que Martin Gilbert (auteur de Auschwitz and the Allies ) dans les archives britanniques, transmis dès le 25 novembre 1942 par le gouvernement polonais. Car, face à diverses controverses, il a fermement affirmé à cette occasion que, selon lui, « le gouvernement polonais à London a fait tout ce qui était en son pouvoir pour aider les Juifs. Seulement, ce gouvernement était alors impuissant, non seulement à propos de l’aide à porter aux Juifs, mais aussi de la défense de
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