Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Introduction par Céline Gervais-Francelle
    C’est en octobre 1981 que Jan Karski sortit de l’oubli, à l’occasion de la Conférence internationale des libérateurs des camps de concentration organisée par Élie Wiesel et le Conseil américain du Mémorial de l’Holocauste. Répondant à l’invitation d’Élie Wiesel, l’ancien émissaire de la résistance polonaise rompait alors son silence pour la première fois depuis 1945. À nouveau, il « témoignait » publiquement de ce qu’il avait vu à l’été 1942 de l’extermination en marche, et tenté obstinément de faire comprendre aux dirigeants alliés, dès son arrivée à London, fin novembre de la même année, suivant la mission extraordinaire que lui avait confiée les représentants des survivants du ghetto de Warszawa, après les grandes déportations vers Treblinka.
    Sa conférence avait pour thème : « La découverte de l’existence du plan de “solution finale” ». Il l’attaquait par trois questions : « 1. Qu’ont appris les dirigeants occidentaux et l’opinion occidentale ? Et quand l’ont-ils appris ? 2. Par quels moyens ces informations leur sont-elles parvenues ? 3. Quelle a été leur réaction ? Quelles en sont les preuves ? J’ai été un de ceux, nombreux, à avoir joué dans cette affaire un certain rôle. »
    Son rapport précis, chronologique, ramenait à la mémoire de nombreux membres de l’assistance les pages lues autrefois, que l’émissaire Jan Karski avait consacrées en 1944 à ces mêmes faits dans son livre témoignage The Story of a Secret State, publié aux États-Unis et imprimé à quatre cent mille exemplaires aussitôt épuisés, republié immédiatement en Grande-Bretagne, traduit en suédois dès 1945, en norvégien en 1946, et en français en 1948, chez Self, sous le beau titre repris du dernier chapitre : Mon témoignage devant le monde. Histoire d’un État secret.
    Le public français ne fut guère informé du retentissement aux États-Unis et en Israël de l’intervention de Jan Karski à cette conférence d’octobre 1981. Le député de New York, Stephen J. Solarz, avait demandé le 15 décembre 1981, à la Chambre des représentants, l’inscription au protocole de la session de l’intégralité du texte de Karski, en relevant avec émotion sa péroraison :
    « Quand la guerre s’est achevée, j’ai appris que ni les gouvernements, ni les leaders, ni les savants, ni les écrivains n’avaient su ce qu’il était arrivé aux Juifs. Ils étaient surpris. Le meurtre de six millions d’êtres innocents était un secret. “Un terrifiant secret”, comme l’a appelé Laqueur. Ce jour-là, je suis devenu un Juif. Comme la famille de ma femme, présente ici dans cette salle. […] Je suis un Juif chrétien. Un catholique pratiquant. Et bien que je ne sois pas un hérétique, je professe que l’humanité a commis un second péché originel : sur ordre ou par négligence, par ignorance auto-imposée ou par insensibilité, par égoïsme ou par hypocrisie, ou encore par froid calcul.
    Ce péché hantera l’humanité jusqu’à la fin du monde. Ce péché me hante. Et je veux qu’il en soit ainsi. »
    En juin 1982, l’institut Yad Vashem, dont des membres avaient assisté à cette conférence, décerna à Jan Karski le titre de « Juste parmi les nations ».
    Le public français ne « redécouvrira », ou plutôt ne découvrira Jan Karski que quatre ans plus tard, en 1985, son beau visage baigné de larmes, en témoin « assigné » par Claude Lanzmann dans Shoah, où images retenues et entretien dataient d’octobre 1978. Cependant, malgré Shoah  – ou peut-être même à cause de Shoah –, Jan Karski est demeuré en France tout aussi méconnu que cette résistance polonaise dont il faisait partie et son État clandestin, phénomène unique dans l’Europe de la Deuxième Guerre mondiale. Avoir republié son livre en 2004, dans une version entièrement révisée et annotée, a certes intéressé des lecteurs puisque l’ouvrage a été vite épuisé, mais cela n’a guère entamé les stéréotypes et approximations surinterprétées de quelques historiens. Que Jan Karski ait cependant inspiré à deux romanciers, en une même « saison littéraire » 2009, deux « réanimations » ou « fictions » fort éloignées l’une de l’autre, mais qui ont su mobiliser les curiosités pour le « vrai » Karski, nous amène à proposer au lecteur de la