Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
l’indépendance de son propre État ».
Le film Shoah a forcé à sa manière la Pologne du général Jaruzelski à partiellement lever la censure du nom de Jan Karski, mais pas de son livre, qui demeurait interdit. Et ce n’est qu’en avril 1987, plus de quarante ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, que les Polonais ont pu voir pour la première fois une photo du résistant Jan Karski dans deux journaux, bientôt placardés en forme d’exposition à Warszawa sous le titre « L’émissaire de Paris ». Il s’agissait du reportage-enquête que Stanislaw M. Jankowski avait consacré à son sauvetage à l’été 1940 à Nowy Sacz et aux anonymes résistants d’alors qui l’avaient sauvé ( c f . ch. XV , note lxxxvi). Ainsi débutaient les retrouvailles progressives de l’émissaire Witold et de sa patrie qui, redevenue indépendante et souveraine, l’accueillit chaleureusement en 1991 lors de la sortie de sa première biographie, Emisariusz Witold, par Stanislaw M. Jankowski, puis en 1995 pour celle, traduite de l’anglais, de Karski, How One Man Tried to Stop the Holocaust, de Thomas E. Wood et Stanislaw M. Jankowski. En décembre 1987, Karski avait en effet ouvert toute grande son « armoire de fer » d’archives personnelles à Stanislaw M. Jankowski et lui avait accordé de longs entretiens, chez lui, à Bethesda.
De nombreuses universités décernèrent à Karski au cours des années 1990 le titre de docteur honoris causa – aucune en France. En 1994, Israël le nomma son citoyen d’honneur. En 1995, le président polonais Lech Walesa le décora de l’ordre de l’Aigle blanc. En 1998, pour marquer son cinquantième anniversaire, Israël le fit nominer au prix Nobel de la paix. Il se laissa persuader par deux historiens de la génération Solidarnosc (Andrzej Rosner et Andrzej Kunert) de publier en polonais The Story of a Secret State, qui allait y paraître en décembre 1999. La note introductive « de l’auteur » y est symboliquement datée du 1 er septembre 1999, soit cinquante-cinq ans après la première publication de The Story of a Secret State. L’ancien soldat de l’État clandestin polonais avait ajouté à cette édition la dédicace suivante :
« Aux soldats et membres de l’État clandestin,
Qui ont combattu pour une Pologne libre et indépendante,
À tous ceux qui lui ont sacrifié leur vie,
À ceux qui ont survécu,
Et à tous ceux que j’ai croisés au long de ma propre route
dans cette guerre. »
Chapitre I La défaite
Le 23 août 1939, j’avais été invité à une soirée particulièrement gaie. La réception était donnée par le fils de l’ambassadeur du Portugal à Warszawa, M. Susa de Mendes. Il avait à peu près mon âge, vingt-cinq ans, et nous étions bons amis. Ses cinq sœurs étaient belles et elles avaient beaucoup de charme. Je voyais l’une d’elles assez fréquemment et j’étais très impatient de la retrouver ce soir-là.
Je venais de rentrer depuis peu en Pologne. Après avoir terminé mes études à l’université Jean-Casimir de Lviv, en 1935, suivies d’une année passée à l’École d’aspirants de l’artillerie montée, j’avais effectué des stages en Suisse, en Allemagne et, pour terminer, en Angleterre. Je m’intéressais aux problèmes démographiques. J’avais passé trois ans dans les grandes bibliothèques d’Europe pour préparer ma thèse, perfectionner mes connaissances en français, en allemand et en anglais et me familiariser avec les coutumes de ces pays ; la mort de mon père me rappela à Warszawa i .
Bien que la démographie fût et qu’elle soit demeurée mon sujet d’études favori, il devint de plus en plus évident que je n’avais guère de dispositions pour l’écriture d’ouvrages scientifiques. Je flânai et traînai pour achever ma thèse de doctorat, et la plus grande partie de mon travail fut refusée. C’était le seul nuage – et il me troublait peu – sur l’horizon clair et ensoleillé des perspectives qui s’ouvraient devant moi ii .
L’atmosphère de la soirée fut insouciante et joyeuse. L’immense salon de l’ambassade était décoré avec élégance, quoique dans un style un peu trop romantique. La société présente était sympathique. Bientôt des discussions animées s’élevèrent de tous côtés. Je me souviens de quelques-uns des sujets abordés : défense chaleureuse des beautés du Jardin botanique de Warszawa contre la
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