Monestarium
et l’impossibilité de
participer à son mensonge, l’abbesse ne parvenait à se résoudre à exposer la
vérité au chapitre. Thibaud de Gonvray risquait la sentence capitale, précédée
de tourments.
— Monseigneur de Valézan ?
reprit la jeune fille.
— Est mort comme il a
vécu : en vilain rat.
Elle soupira et Mortagne ne sut s’il
s’agissait de soulagement.
— La nouvelle de son trépas
court déjà. Il semblerait qu’il soit tombé sous les coups d’un ivrogne qui l’a
détroussé avant de disparaître, l’informa-t-elle.
Un lent sourire étira les lèvres de
Mortagne, qui précisa :
— Aidé en cela par
l’aubergiste, ce seigneur du Coutillier, je suppose. Au fond, j’en suis aise.
Je n’aurai pas à m’expliquer sur les raisons de ce duel. Valézan sera porté en
terre avec les honneurs. Si sa mort en arrange beaucoup et en dédommage
d’autres, le scandale de sa répugnante vie épargnera l’Église, et c’est pour le
mieux.
Plaisance approuva d’un hochement de
tête et revint à sa véritable inquiétude :
— Et le diptyque, le secret
qu’il détient selon vous ? Comptez-vous jamais le produire, maintenant que
Valézan n’est plus ? Ne vaudrait-il pas mieux le détruire ? Il a déjà
tant fait couler le sang d’innocents.
— Le détruire ? Je m’y résoudrai
sans doute. Pourtant, une certitude arrête encore mon geste. Ce diptyque
représente à mes yeux un fragment de la connaissance, et elle est sacrée.
— Elle est également
dangereuse.
— Pour qui la manie mal ou la
corrompt.
Les lèvres de Plaisance de Champlois
se serrèrent. Le sort lui était contraire.
Ce tôt matin, Élise de Menoult, sœur
chambrière chargée de débarrasser le logement de feu la grande prieure, lui
avait porté une courte lettre retrouvée cachée sous la toile qui recouvrait le
fond du coffre à registres d’Hucdeline de Valézan. D’une voix tremblante, sa
gentille fille avait annoncé : « Je l’ai parcourue… C’est une telle…
ignominie que j’ai d’abord refusé d’y croire. »
Lorsque Plaisance avait pris
connaissance de sa teneur, un vertige l’avait déséquilibrée. En quelques mots
graveleux s’étalait l’inceste des Valézan. Pourquoi Hucdeline avait-elle
conservé la preuve écrite de ces turpitudes ? Pour se prémunir au besoin
contre son frère Jean ?
À l’abattement, au dégoût qu’elle
ressentait, s’était substituée l’idée d’un marché. Elle offrait la lettre
accusatrice à Mortagne en échange du diptyque. Il ne pouvait rêver meilleure
arme de dissuasion contre monseigneur de Valézan. Une fois en possession des
deux rouleaux de toile, elle condamnait aux flammes celui qui représentait le
soldat et son intolérable message.
Valézan occis, Mortagne n’avait plus
utilité de la lettre et Plaisance perdait sa monnaie d’échange. Plaisance
hésita pour la dixième fois de cette matinée. Fallait-il prévenir Rome de cette
découverte ? Valait-il mieux pour tous se taire à jamais ?
Aimery de Mortagne se leva pour
prendre congé.
— Madame, en dépit de l’effroi
de ces derniers jours, du chagrin que me cause le décès de mon valeureux ami
Malembert, en dépit des ravages que vous évoquiez et de notre mésentente au
sujet de ce tableau, croyez que l’honneur de vous rencontrer et de vous
seconder fut un des plus vifs de ma vie.
— L’honneur fut mien, monsieur.
En dépit de tout, en effet.
— Puis-je… Me pardonnerez-vous
l’audace de vous croire un peu mon amie, madame ?
Le premier sourire de cette entrevue
détendit le visage juvénile de l’abbesse. Elle se leva et tendit les mains vers
lui en déclarant :
— Eh quoi ? Auriez-vous pu
devenir notre sauveur sans devenir ainsi mon noble ami ? Je la revendique,
cette belle amitié. À vous revoir donc, monsieur. En de meilleures
circonstances. Dieu veille sur vous toujours.
BRÈVE ANNEXE HISTORIQUE
Beaujeu (Guillaume de) , ?-1291. Il est élu grand maître de l’Ordre le 13 mai 1273.
Issu d’une famille baronniale ayant des liens avec la royauté, il se comporte
en Terre sainte à la manière d’un seigneur, traitant d’égal à égal avec les
princes, et se met à dos le roi de Chypre, Hugues III. Son autorité et son
rayonnement sont utilisés contre Jacques de Molay (nouveau grand maître) lors
du procès du Temple, tout comme ses prétendues « accointances » avec
les musulmans. En réalité, Guillaume de Beaujeu
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