Montségur et l'enigme cathare
décidé de continuer par le Languedoc. Mon
interlocuteur était tout trouvé : René Nelli. Mais le temps pressait, et
Nelli n’étant pas libre, je dus changer mes plans à la dernière minute. C’est
ainsi qu’arrivant de Belgique, où j’avais fait une émission en direct pour la
radio, je me retrouvai un matin à Toulouse où m’attendait un technicien de FR 3
mandaté pour me piloter et enregistrer mon travail. Je commençai par engager un
intéressant dialogue avec Daniel Fabre, l’un des meilleurs spécialistes de la tradition
orale occitane, qui enseignait alors à l’université du Mirail.
Puis nous partîmes pour Verniolle, un petit bourg aux
environs de Pamiers, où j’avais rendez-vous avec Adelin Moulis, cette figure
mémorable, qui a été l’un des artisans les plus sincères de la renaissance
intellectuelle occitane de l’après-guerre. C’est alors que, pour la première
fois de ma vie, je m’engageai vraiment dans le pays cathare. La route de Foix
débouchait sur des sommets à demi cachés par les nuages où je distinguais de la
neige. Les Pyrénées m’apparaissaient comme une sorte de monde enfoui où j’avais
presque peur de m’aventurer. Cette impression de vertige qui m’avait saisi
quand j’avais vu le générique du téléfilm sur les Cathares revenait en moi. Mais
en passant à Saverdun, je ne pus m’empêcher de penser, avec ma manie de l’étymologie,
que je me trouvais encore en pays celtique, ce nom comprenant incontestablement
le terme gaulois duno , « forteresse ».
Quelle forteresse ? L’image de Montségur vint de nouveau me hanter.
Nous enregistrâmes de longues heures avec Adelin Moulis. Il
parlait de tout, et s’égarait souvent, se laissant aller à la passion qu’il avait
pour son pays et pour les « observances » qu’il y avait découvertes. Quand
il me parlait d’Esclarmonde de Foix, j’avais l’impression qu’il la connaissait
bien et qu’il l’avait rencontrée de nombreuses fois dans des chemins tortueux, au
confluent de deux torrents. Pourtant, dans le petit pavillon qu’habitait Adelin
Moulis, tout était calme, paisible. Les Cathares n’étaient point là. Cependant,
ils étaient très près. Je les sentais présents, comme des ombres familières qui
me faisaient des signes. Nous fîmes un étrange repas dans un restaurant de
Pamiers. Adelin Moulis était agnostique. Le technicien était israélite. J’étais
ce que j’ai toujours été, un chrétien de naissance englué dans les pièges du
druidisme. Nous discutâmes beaucoup. Là, j’ai compris que je me trouvais
ailleurs, dans un pays qui portait en lui tous les germes de l’hérésie, dans un
pays qui n’était pas comme les autres, et où les Cathares vivaient toujours, à
l’insu de tous, sans le dire et sans même y penser. La moindre pierre me semblait
un vestige. Le moindre toit recélait des mystères. J’aurais bien voulu aller
plus loin. Cette fois, je savais que j’irais jusqu’à Montségur. Adelin Moulis m’avait
conduit à la frontière : le reste dépendait de moi.
Mais j’étais là pour une mission bien précise qui ne me permettait
pas d’autres approches. Après une dernière errance dans les rues de Toulouse, où
je tentai de démêler les nœuds inextricables des rapports du comte Raymond VII
avec le roi de France, je repartis sur Paris, où j’eus bien du mal à « monter »
les discours d’Adelin Moulis pour les faire tenir dans le cadre de mes
émissions. Mais le poison cathare s’était infiltré dans mes veines. Ce n’était
plus un monde lointain et quelque peu abstrait qui s’ouvrait devant moi, mais
quelque chose de tenace, comme une vérité révélée qu’on accepte sans pouvoir
trouver d’arguments pour la contredire.
Une première constatation était qu’il devait exister une
permanence cathare. Une doctrine de cette sorte, vécue intensément par des gens
qui n’avaient pas hésité à mourir plutôt que de la renier, est digne d’intérêt,
même si on ne la partage pas. Et, de plus, il est impensable que, malgré la
persécution et le parti pris d’anéantissement, une telle doctrine se soit tout
entière perdue. Je sentais les Cathares autour de moi, même si j’étais
incapable de reconnaître le visage sous lequel ils évoluaient dans la société
française méridionale du XX e siècle. Je
sentais que ce pays était imprégné d’un esprit différent .
J’en arrivais ainsi à une seconde
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