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Montségur et l'enigme cathare

Montségur et l'enigme cathare

Titel: Montségur et l'enigme cathare Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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et le mal, il m’était alors
impossible de me sentir proche de ces hérétiques dualistes. D’ailleurs, l’Occitanie
était bien loin, et les rivages d’Armorique concentraient les lignes de force
de mon imaginaire.
    Montségur se trouva dès lors enfoui au plus profond de ma
mémoire et n’en émergea qu’à la fin des années 1960. L’occasion fut la
diffusion, par la Télévision française, d’un feuilleton dramatique de Stellio
Lorenzi sur les Cathares, qui ne manquait pas d’intérêt et qui avait le mérite
de préciser, pour un très large public, les principaux événements de la
tragédie vécue par les populations d’Occitanie au XIII e  siècle, tout ce que ne disaient pas les manuels
scolaires. Et surtout, pour moi, il y avait le générique de cette série, somptueux
et magnifique : une vue, probablement prise en hélicoptère, de la
forteresse juchée sur cette montagne en apparence inaccessible, et qui, par le
jeu de la caméra, tournoyait littéralement comme une comète cherchant un
endroit pour se poser au milieu d’un monde tourmenté. Et l’accompagnement
musical, emprunté à Alexandre Newsky de Serge
Prokofiev, donnait à cette image une dimension prodigieuse, à la limite de l’hallucination.
J’en retirai une profonde impression de vertige qui, depuis ce temps, ne m’a
plus quitté.
    Je me sentis devant un manque, un vide, non seulement par le
jeu de l’image poétique, elle-même très forte, mais encore par l’arrière-plan
de cette image. Ces mystérieux Cathares, dont je ne savais rien et qui étaient
entrés dans l’Histoire à la manière des Celtes, par la légende, pouvaient seuls
combler le vide que je ressentais. Mais comment retrouver leurs traces, comment
discerner dans les productions de l’esprit, littérature, arts plastiques, architecture,
les vestiges que les Inquisiteurs, acharnés à leur perte, avaient fatalement
fait disparaître ? J’avais lu certains ouvrages de René Nelli : mais
la pensée cathare qu’il exhumait me semblait alors si éloignée de mes propres
préoccupations que j’avais renoncé à aller plus loin, dans une direction qu’on
pourrait qualifier de « théologique ». Par contre, la poétique des
Troubadours m’envoûtait, et je m’efforçais de découvrir chez certains d’entre
eux le chemin qui me conduirait à Montségur, au véritable Montségur, celui qui
ne se trouve nulle part, mais partout, antre idéal et secret de ce que j’imaginais
être le Graal.
    Je dois beaucoup à René Nelli. Il m’a fait connaître l’un
des textes les plus importants du Moyen Âge occitan, le Roman de Jaufré , dont il a publié une magnifique
traduction. Cette épopée arthurienne archaïque, due à un écrivain de génie, m’a
procuré à peu près toutes les clés qui ouvrent les mystères de la légende d’Arthur
et du Graal. C’est un texte fondamental, antérieur dans sa conception aux
récits désormais classiques de Chrétien de Troyes et du Lancelot en prose . Il m’a montré les rapports subtils
qui existent entre la civilisation occitane médiévale et les traditions
celtiques. Et j’avoue avoir, dans ce texte, aperçu plusieurs fois l’ombre des
Croyants et des Parfaits.
    Mais c’est surtout par son étude sur l’érotique des Troubadours
que René Nelli m’a mis sur une voie que je ne pouvais plus quitter. Je
cherchais désespérément à établir des liens solides entre les conceptions
celtiques de l’amour, dans la légende de Tristan et dans les épopées
irlandaises, et le fameux « amour courtois » que je préfère nommer la fine amor , ce terme me paraissant le plus
conforme au sens profond de l’expression. À la lumière de cette étude, ce qui n’était
pour moi autrefois qu’un jeu de cour raffiné en accord avec les règles de la
morale chrétienne, devenait un enchevêtrement de rituels archaïques peu
conformes à des normes habituelles dans l’orthodoxie chrétienne. La fine amor prenait tout à coup une étrange allure, et
son odeur était nettement sulfureuse. J’avais tant de fois lu que la poésie des
Troubadours avait été influencée par l’Islam : mais ce n’était certes pas
la civilisation arabe que je retrouvais là-dedans. De toute évidence, il s’agissait
d’un chemin initiatique pré-chrétien et pré-islamique, et je commençais à
penser que les Cathares devaient y être pour quelque chose. On verra que cette
intuition était loin d’être éloignée de la

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