Mourir pour Saragosse
sa retraite en apprenant que le pont sur l’Èbre, symbole de la résistance, était aux mains du général Gazan qui avait chargé le général Saint-Marc de rassembler une centaine de combattants pour tenter d’en reprendre possession, et s’était fait conduire en voiture sur les lieux. Ses compagnies avaient été clouées sur place avant même d’atteindre les abords du pont.
Au crépuscule, les combats ayant cessé, je faisais masser mon épaule endolorie par l’ordonnance de Lejeune, quand un attroupement attira mon attention. Je me rajustai et vis arriver, soutenu par deux soldats, le jeune capitaine Marbot, qui sourit en me reconnaissant. Il avait été touché à la poitrine.
Je connaissais cet officier originaire du département voisin du mien, la Corrèze, et propriétaire du château de La Rivière, près de Beaulieu, sur la Dordogne. Fournier, qui l’avait rencontré dans d’autres campagnes, m’en avait vanté le courage et la bonhomie.
Je l’accompagnai jusqu’à l’infirmerie où le chirurgien Assalagny, après l’avoir ausculté, conclut que la blessure était assez grave.
– Si vous en réchappez, capitaine, ce que je vous souhaite, c’est que le bon Dieu vous a à la bonne.
– Il le faudra bien, lui répondit Marbot. J’ai promis à ma famille d’être de retour pour les moissons.
– Vous avez une autre plaie à la tête, mais bénigne, semble-t-il.
Marbot n’était plus en état de l’entendre. Sa tête s’était inclinée sur son épaule et ses yeux s’étaient fermés. Je crus qu’il avait passé, mais Assalagny me rassura : il allait toutfaire pour sauver ce robuste garçon, bien qu’il eût perdu beaucoup de sang.
Quelle ne fut pas la surprise du chirurgien en extrayant la balle logée entre deux côtes ! Elle était martelée en forme de pièce de monnaie dentelée, une croix gravée sur chaque face. Étant donné sa dimension, elle n’avait pu sortir que d’un tromblon, l’arme favorite des campesinos .
Outre qu’il allait survivre à ses blessures, Marbot se vit décerner le grade de chef d’escadron. Étant donné sa jeunesse, c’était une flatteuse promotion.
Il avait refusé d’être transféré au mouroir d’Alagon et exigea de rester sous sa tente le temps de sa guérison. C’est là que je le retrouvai le lendemain matin, avant de me remettre à l’ouvrage. Il était mal en point mais conscient.
– Tu as eu beaucoup de chance, lui dis-je en m’asseyant à son chevet. Tu pourras participer aux moissons dans ton domaine.
– Je ne suis pas tiré d’affaire, murmura-t-il, mais si j’en réchappe, ce foutu siège terminé, j’aurai d’autres soucis que de m’occuper de mes champs. Je plaisantais. Ça bouge du côté de l’Autriche. Alors je vais avoir du pain sur la planche. Je t’y verrai peut-être.
Quand je lui parlai de notre ami commun, François Fournier, il marmonna :
– Je n’ai guère de sympathie pour ce mauvais sujet, mais, sapristi, c’est un fameux meneur d’hommes et d’une audace à toute épreuve. Je déteste sa manie des duels. Un jour, il trouvera à qui parler…
J’interrompis cet entretien pour ne pas le fatiguer. D’ailleurs les tambours battaient le rassemblement dans un pré voisin.
À la moindre avancée sur le Cosso et dans les artères adjacentes, nous constations, non sans nous en émouvoir,les terribles conséquences sur la population de la famine et du typhus que l’on soignait avec de l’eau de riz. Le groupe de femmes secourables conduit par la comtesse Burida et la madre Rafols, dépourvues de tout secours de la junte, avaient fini par baisser les bras.
Démoralisée par notre assaut général, la population perdait peu à peu confiance en son demi-dieu, Palafox, qui, après une dernière bravade sur le pont, s’était acagnardé dans sa cave. Seul, le général Saint-Marc, ce Belge hispanisé, avait encore quelque crédit. Quant à espérer un miracle de la Vierge del Pilar, peu de gens y croyaient encore.
L’heure était venue pour Palafox et les messieurs de la junte de prononcer le mot « capitulation ».
Miné par le typhus et donc impuissant à effectuer une démarche auprès de notre quartier général, Palafox en confia le soin à un de ses aides de camp encore valide, le capitaine Castellar, plutôt qu’à Saint-Marc qu’il soupçonnait à tort, comme la population volontiers xénophobe, de quelque sympathie pour l’ennemi. Dans le message écrit de sa
Weitere Kostenlose Bücher