Mourir pour Saragosse
encore la cocarde rouge, symbole de fidélité à leur roi.
La fin du siège était intervenue le 21 février. Quelques jours plus tard, ces malheureux, sustentés et pansés, allaient être acheminés sous bonne garde vers Pampelune et la France. Des religieux et des femmes tentèrent de les accompagner ; ils furent écartés manu militari .
Nous apprîmes peu après que, malgré la solide escorte chargée de les surveiller, nombreuses avaient été les évasions dans les Pyrénées. Autant de combattants dont allaient profiter les insurgés encore en lutte. Contrairement aux dires de Lannes au cours des négociations, la guerre se poursuivait dans toutes les provinces.
Lannes fit preuve d’une relative clémence envers Palafox. Il l’autorisa à s’installer dans son hôtel, place de La Aduana, épargné par le feu de nos batteries. Il y resta quelques jours avant de prendre à son tour le chemin de l’exil, à titre de prisonnier d’État, dans la forteresse de Vincennes.
J’eus, le lendemain de la reddition, le plaisir d’être présenté à la señora Leocadia Bandera, l’épouse de Marcello.
Cette belle et opulente Aragonnaise, originaire de Jacca, n’inspirait pas la pitié. Elle avait, durant tout le siège, profité des vivres que notre agent lui rapportait sous le manteau.
– Nous nous interrogeons, me dit Marcello, sur notre sort. Pour moi, le mieux serait d’aller offrir mes services au quartier général du roi Joseph, en tant qu’interprète. Leocadia préférerait me voir rejoindre sa famille, à Jacca, et prendre en main son huilerie laissée à l’abandon. Rien n’est encore décidé.
– Il te reste une autre solution, lui dis-je. Rester à Saragosse et aider à la reconstruire. Tu lui dois bien ce sacrifice.
Le lendemain, il me confia qu’il avait choisi de prendre la route de Jacca. C’était la plus sage : Leocadia était enceinte de quatre mois.
Jean-Baptiste Marcellin, baron de Marbot, ne laissait pas de me surprendre. Alors que l’on ignorait s’il survivrait à sa blessure, il parlait, dès qu’il reprenait conscience, de ses prochaines campagnes.
Dans l’attente des ordres de Madrid ou de Paris, j’allais chaque jour le voir dans sa tente. Il semblait apprécier mes visites, moins pour les nouvelles que je lui apportais que pour me confier le désir qu’il avait de reprendre les armes.
– Antoine, me disait-il, je ne supporterai pas plus longtemps ce foutu pays. Dès que je serai sur pied, je prendrai la poudre d’escampette. Un bref séjour dans ma famille et en route pour l’Allemagne ! Il paraît que la guerre avec l’Autriche n’est plus qu’une question de jours. L’Empereur lève la plus belle armée de tous les temps. Je veux en être. J’en ai marre de courir après des paysans armés d’escopettes et de couteaux.
Il fit grise mine le jour où, pour atténuer quelque peu cette ardeur guerrière qui m’exaspérait, je suggérai l’idée qu’il était désormais réformable.
– Autant mourir…, soupira-t-il. Tu me vois, à vingt-sept ans, vivre de mes rentes avec pour seule distraction la pêche dans la Dordogne ? Je te le dis, Antoine, dans une semaineje monterai en selle, dans quinze jours je serai à Altillac et dans un mois je me battrai contre les Autrichiens.
Il ajouta avec un mauvais regard :
– Pourquoi te fais-je ces confidences, à toi qui n’aimes pas la guerre, bien que tes états de service, que je tiens de Lejeune, semblent prouver le contraire ?
J’eus du mal à justifier ce paradoxe.
– Quand je tenais les mancherons de la charrue, ce n’était pas par plaisir mais par nécessité, et je ne m’en plaignais pas. Il est vrai que je déteste la guerre, et pourtant je la fais.
– Pourquoi, nom de Dieu ?
– Parce qu’il me déplairait de voir les Autrichiens manger mon pain et boire mon vin. Cette explication te suffit-elle ?
– Laisse-moi, Antoine. Tu as mis du désordre dans ma tête. Il faut que je réfléchisse à ta « philosophie ».
Il me reparla un jour d’un personnage qui lui tenait à cœur : Fournier. Il n’arrivait pas à comprendre pourquoi celui-ci poursuivait de sa haine le mystérieux officier dont il persistait à cacher le nom. J’étais persuadé, quant à moi, qu’il ne s’agissait pas d’une banale antipathie mais d’une attirance mutuelle, voire de respect, chacun tenant à prouver qu’il était le meilleur bretteur de toutes nos armées.
– Les Anglais
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