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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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s’il comptait la garder près de lui, ce qui n’aurait rien eu d’exceptionnel, quand il se livra à l’une de ces logorrhées auxquelles j’étais habitué.
    Je dus subir le récit de l’odyssée qui lui avait ramené cette Nausicaa. La ferme de ses parents ayant été pillée par nos fourriers, il leur restait tout juste de quoi survivre. Ils n’avaient eu d’autre recours que d’aller se réfugier chez des parents, à Osera, où les restrictions étaient moins draconiennes. Rosa avait refusé de les suivre et s’était rendue au camp pour demander asile à son bel officier.
    – Tu imagines ma joie, Antoine ! L’avoir près de moi, de nuit comme de jour, la serrer dans mes bras au retour d’une bataille, lui faire l’amour…
    Je n’osai le mettre en garde contre la précarité de cette aventure : il m’aurait agoni d’insultes et j’aurais compromis notre amitié. Il me dit en m’aidant à enfiler ma chemise et en me pressant contre sa poitrine qui sentait le parfum de Rosa, du gardénia :
    – Antoine, mon frère, je te souhaite de connaître le même bonheur que moi. Tu le mérites.
    J’aurais aimé l’interroger sur les « mérites » censés m’ouvrir la porte du paradis, mais il avait déjà disparu, une chanson aux lèvres, en faisant claquer ses gants dans ses mains.

    Une mauvaise querelle allait mettre fin à cette idylle.
    Lejeune avait manifesté ses exigences : ne plus se séparer d’elle, la mener sur d’autres champs de bataille, puis en France pour l’épouser. Celles de Rosa étaient tout aussi fermes : elle refusait de quitter l’Espagne et sa famille. Sa famille… Elle y tenait donc plus qu’à lui ? Elle ne le démentit pas.
    Pour l’ébranler, elle lui confia que le fils d’un voiturier d’Osera, amoureux d’elle, avait demandé sa main, ce qui les eût tirés d’embarras, elle et les siens. Chantage ? Peut-être. Ce qui est certain, c’est qu’il en fut outré. Dans l’heure qui avait suivi, elle avait repris son maigre baluchon et Lejeune l’avait fait reconduire hors de nos lignes.
    Le soir venu, lorsque je le retrouvai au mess, il n’eut pas un mot, humilié qu’il était, pour me conter la fin piteuse de ses amours. Il m’avoua plus tard qu’il jouirait toujours de sa présence grâce aux pastels qu’il avait faits d’elle et qu’il me montra. Pour céder à la mode, il l’avait affublée d’une tenue d’Andalouse…

    L’épidémie de typhus marchait à grand pas dans la ville et dans nos rangs, s’ajoutant aux pertes qui accompagnaient nos assauts, plus importantes de jour en jour.
    Lejeune me confia le soin de convoyer à Alagon un fourgon de malades et de blessés. L’hôpital était devenu un vaste charnier. Les cadavres alignés dans le jardin pourrissaient au soleil, répandant une odeur atroce.
    J’aidai au déchargement du fourgon dont quelques occupants étaient morts en cours de route. Dans la nef transforméeen infirmerie, il régnait un tel vacarme qu’on se serait cru aux portes de l’enfer. On manquait de lits, de matelas et même de place, si bien que beaucoup de nos hommes patientaient dehors, allongés à même le sol.
    J’ai gardé dans l’oreille le lugubre lamento des blessés amputés à la scie d’une jambe ou d’un bras. Je souhaitais présenter à Lagneau mon ordre de mission, mais il était trop occupé. Autant espérer distraire un général au moment d’un assaut ! Je ne pus qu’apercevoir sa silhouette couverte de sang jusqu’aux yeux.

    Dans l’après-midi, de retour à Saragosse, je fus témoin d’un spectacle désolant, sur une position enlevée par Mortier.
    La façade d’une maison bourgeoise venait de s’effondrer, laissant les étages ouverts comme ces maisonnettes offertes aux enfants. On y devinait encore, malgré les dégâts, des intérieurs cossus où subsistaient quelques meubles.
    Je remarquai la présence insolite d’un vieillard assis dans un fauteuil, la pipe aux lèvres, comme étranger aux événements, à croire qu’il était aveugle et sourd. Puis je distinguai près de lui une autre personne : une jeune femme, une adolescente semblait-il, dont la tête reposait sur les genoux du vieil homme.
    Le contraste entre l’apparence de sérénité que dégageait cette scène d’intimité et l’énorme désordre des ruines la rendait plus émouvante encore.
    Un des officiers de Mortier me dit :
    – Ils sont là depuis ce matin, immobiles, et pour cause : ils sont

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