Mourir pour Saragosse
main, il acceptait les propositions de Lannes, datant du 24 janvier, en y ajoutant la liberté, pour ce qui restait de combattants, de rejoindre avec armes et bagages d’autres unités encore en guerre.
La réponse claqua comme un coup de cravache :
– Dites à celui qui vous envoie, capitaine, qu’il n’a aucune clémence à attendre de moi ! D’ailleurs vous ne sauriez pas où vous battre : il n’y a plus d’armée insurgée dans toute la Péninsule et les forces dont vous disposez encore sont dérisoires. Je suis prêt à accorder le pardon à la population et à respecter leur vie et leurs biens. J’interdis à quiconque de douter de la loyauté et de la générosité de notre nation.
– Accepter une capitulation sans condition, jamais ! s’écria Palafox. Je vais déléguer mes pouvoirs au général Saint-Marc, malgré les préventions que je nourris contre lui. Après s’être battu pour nous avec courage, il n’osera pas nous trahir. En attendant, poursuivons la lutte !
Sollicité, Saint-Marc se récusa. Palafox signa la déchéance de la junte pour la remplacer par une nouvelle assemblée plus énergique, dont le président, don Pedro María Ric y Montserrat, régent de l’Audience royale, n’était autre que le nouvel époux de la comtesse Burida.
L’idée de capituler avait fait son chemin dans la population. On en parlait à cœur ouvert et ce ne fut pas sans angoisse que l’on entendit de nouveau le concert lugubre des canons et des fusillades. Il fallut, le ventre vide, la fièvre au corps, reprendre les armes.
Décidé à en finir dans la journée, Lannes avait fait ouvrir le feu à toute son artillerie sur ce qui restait de la ville.
Je me trouvais engagé au côté de Lejeune, qui avait tenu à reprendre le combat malgré sa blessure, non loin du palais de justice, l’Audiencia, quand un détachement envoyé en reconnaissance aux abords de ce bâtiment revint en hurlant :
– Le siège est terminé ! Ils capitulent !
Quelques instants plus tard nous vîmes surgir un groupe d’officiers espagnols en loques, qui brandissaient des mouchoirs blancs à la pointe de leur épée. Ils déposèrent leurs armes et se constituèrent prisonniers. Lejeune fit cesser le feu et me chargea de prévenir le quartier général de cette reddition.
Moins d’une heure plus tard, l’ordre d’interrompre les opérations ayant été communiqué à toutes nos unités, une délégation se rendit au palais de la junte pour négocier une capitulation. Fait étrange, l’officier qui tentait cette ultime démarche était l’homonyme du général belge Saint-Marc !
À la fin de l’après-midi, un émissaire nous annonça la nouvelle tant espérée : le siège de Saragosse avait pris fin.
Alors que nous nous congratulions avec des larmes de joie, il se passait en ville d’étranges événements qui risquaient de tout remettre en question.
Lejeune était présent au quartier général lorsque les représentants de la junte, conduits par Saint-Marc, avaient entamé le dialogue destiné à mettre un terme aux hostilités. Ils avaient émis des exigences absurdes, telles que garantir les revenus et les biens du clergé et reconnaître Ferdinand VII comme souverain.
Lannes avait déployé devant eux, sur une table, un plan de la ville gribouillé et leur avait dit en s’efforçant de garder son calme :
– Messieurs, regardez bien ce document. Il représente la situation de la ville telle qu’elle est à l’heure présente. Il nous reste quelques quartiers et monuments à prendre, mais nous avons sous le Cosso six fourneaux de mines. Si nous y mettons le feu, il ne restera que quelques murs de vos belles demeures.
– Les députés, me rapporta Lejeune, ont changé de mine. Certains se sont signés comme s’ils allaient être conduits au supplice. Les « murs » dont parlait Lannes sont ceux de leurs maisons ou de leur palais : la casa Giscala, le palais du duc de Villa Hermosa, l’hôtel de l’Olivar… Les bombardements les ont épargnés, mais il n’en aurait pas été de même si nous avions poursuivi le siège.
La réaction n’avait pas tardé : les députés avaient signé une capitulation inconditionnelle comportant : pardon général pour les habitants, honneurs de la guerre rendus aux défenseurs, dépôt des armes au Portillo, conservation de l’épée pour les officiers et de leur uniforme pour les soldats, permissionpour les paysans de retourner à
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