[Napoléon 1] Le chant du départ
mort vient de m’effleurer une nouvelle fois .
Il s’installe dans la maison du consul de France, et aussitôt, alors qu’autour de lui on parle encore de ce tireur isolé qu’on a trouvé entouré de six fusils et qu’on a abattu, Napoléon commence à donner des ordres.
Demain 2 juillet, revue des troupes avec les corps de musique, les officiers généraux en grande tenue, puis départ des premières unités vers Le Caire. Il appelle le consul Magallon et choisit pour l’avance des troupes la route de Damanhour, afin de ne pas avoir à traverser le Nil sur lequel naviguent des galères mamelouks. Il harcèle déjà les officiers, exige qu’on mette sur pied un atelier pour fabriquer de nouveaux uniformes, plus légers. Napoléon voudrait communiquer à chacun de ceux qui l’écoutent son énergie, son impatience, sa conscience que toute seconde doit être employée à agir. Il dit : « Saint Louis, ici, passa huit mois à prier alors qu’il eût fallu les passer à marcher, à combattre et à s’établir dans le pays. »
Mais comment rendre ces hommes, chaque soldat, tendus comme lui ? Le Caire aujourd’hui, et demain… Quoi ? Plus loin, plus haut.
Il commence à dicter à Bourrienne une proclamation aux Égyptiens, qui doit être imprimée dans la nuit en arabe, en turc et en français, puis affichée dans toutes les villes, lue à haute voix et distribuée par les armées en marche.
« Au nom de Dieu, clément et miséricordieux. Il n’y a de divinité qu’Allah : il n’a point de fils et règne sans associé. »
Bourrienne lève la tête.
Qu’imagine-t-il ? Que l’on peut parler aux musulmans comme on parle aux chrétiens ?
« Au nom de la République Française fondée sur la liberté et l’égalité… »
Il dicte d’une voix saccadée, s’en prenant aux Mamelouks, l’aristocratie guerrière qui opprime les Égyptiens.
« Quelle intelligence, quelles vertus, quelles connaissances distinguent les Mamelouks, pour qu’ils aient exclusivement tout ce qui rend la vie douce ? Y a-t-il une belle terre, une belle esclave, un beau cheval, une belle maison ? Cela appartient aux Mamelouks !
« Mais Dieu est juste et miséricordieux pour le peuple… Tous les hommes sont égaux devant Dieu. L’intelligence, les vertus et la science mettent seules la différence entre eux… Aucun Égyptien ne sera désormais exclu des charges et tous pourront parvenir aux dignités les plus élevées… par ce moyen le peuple sera heureux… Cadis, cheiks, imams, tchorbadjis, dites au peuple que les Français sont aussi de vrais musulmans. Ce qui le prouve, c’est qu’ils ont été à Rome la Grande et ont détruit le trône du pape, qui incitait sans cesse les chrétiens à faire la guerre aux musulmans ; qu’ils sont allés dans l’île de Malte et en ont chassé les chevaliers qui s’imaginaient que Dieu voulait qu’ils fissent la guerre aux musulmans… Heureux, oui, heureux les Égyptiens qui s’uniront promptement à nous… Mais malheur à ceux qui se joindront aux Mamelouks.
« Que Dieu conserve la gloire du sultan ottoman, que Dieu conserve la gloire de l’armée française ! Que Dieu maudisse les Mamelouks et rende heureux le sort de la nation égyptienne.
« Écrit au quartier général d’Alexandrie, le 13 Messidor de l’an VI de la République (1 er juillet 1798) ou fin Moharram 1213 de l’Hégire. »
Il voit le sourire de Bourrienne et ceux des officiers qui répètent en se moquant : « Les Français sont aussi de vrais musulmans. » Il s’emporte. Que savent-ils de la manière de gouverner les hommes ? Il veut révolutionner et républicaniser l’Égypte, désarmer les préventions de ses habitants, en faire des alliés. Cette proclamation, il se l’avoue, « c’est du charlatanisme, mais du plus haut » ! Comment se faire entendre des hommes si on ne joue pas la musique qu’ils connaissent ? Il n’y a qu’un seul autre moyen : les armes, et donc la peur qu’elles procurent.
Le 2 juillet, de grand matin, Napoléon passe les troupes en revue. La chaleur est déjà torride. Il faut que les hommes marchent malgré la soif. Il faut qu’ils se mettent en route avec à leur tête les généraux Desaix et Reynier.
Il se dirige vers un groupe de soldats, qui, après avoir été captifs des Bédouins, se sont enfuis ou ont été libérés. Ils baissent la tête. Puis certains se mettent à parler : ils racontent ce qu’ils ont
Weitere Kostenlose Bücher