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[Napoléon 1] Le chant du départ

[Napoléon 1] Le chant du départ

Titel: [Napoléon 1] Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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sel est l’une des plus troublées. Elle explique longuement à Bonaparte que le grenier a été assiégé. Bonaparte se montre prévenant, sensible à cette détresse un peu appuyée et où la volonté de séduire n’est pas absente. Il dispose ses hommes, établit des tours de garde, des rondes de patrouilles.
    La situation est si tendue qu’on s’installe à Seurre pour plusieurs jours.
    Bonaparte sort ses cahiers et ses livres. Le temps passe semaine après semaine. Voilà plus d’un mois déjà que le détachement est à Seurre. Bonaparte a été reçu par les notables. Il a dansé, séduit. Il s’est mêlé aux conversations.
    On parle des États généraux que le roi doit réunir à Versailles le 5 mai. Certains des hôtes de Bonaparte sont des délégués du Tiers État. On évoque la situation des finances du royaume, les privilèges fiscaux de la noblesse qu’il faudrait abolir.
    Bonaparte écoute, intervient peu.
    Il observe comme il pourrait le faire d’une situation qui ne le concernerait qu’en partie. C’est comme s’il feuilletait les pages d’un livre, prenant des notes. D’autres l’ont écrit, car il ne se sent pas de ce pays. Il y est officier, mais sa patrie est ailleurs.
    Lorsqu’il entend les arguments échangés, lorsqu’il constate avec quelle passion les notables débattent, il mesure son indifférence. Il est spectateur.
    Ce qui lui importe, c’est son destin, qui est lié à celui de la Corse. Mais, pense-t-il, ce qui se passe ici, dans ce royaume qu’il sert, pèsera sur l’avenir de sa patrie insulaire.
     
    À la fin du mois d’avril, dans les ruelles de Seurre, les villageois et des paysans venus d’alentour se rassemblent à nouveau. Ils brandissent des fourches, ils hurlent, ils menacent.
    Bonaparte se place en avant des soldats de sa compagnie. D’une voix claire, il ordonne aux soldats de faire charger les fusils, puis il marche vers le rassemblement hostile. « Habitants de Seurre ! s’écrie-t-il. Que les honnêtes gens se retirent et rentrent chez eux. Je n’ai ordre de tirer que sur la canaille ! »
    La foule hésite. Bonaparte, l’épée levée, répète : « Que les honnêtes gens rentrent chez eux. »
    La voix ne tremble pas. Les manifestants se dispersent. Bonaparte met l’épée au fourreau.
    Le soir, chez l’un des notables qui donne un bal en l’honneur des officiers, on entoure Bonaparte, on le félicite.
    Il a fait son devoir, dit-il. Il n’a pas eu d’hésitation.
    Il ne se sent rien de commun avec cette canaille débraillée, ces paysans, ces pauvres, ce peuple.
    Il est corse, d’un autre peuple, donc, presque d’une autre race. Un peuple de bergers et de montagnards qui parle une autre langue. Un peuple si différent de celui qui s’est rassemblé dans les ruelles, a massacré ces marchands de blé.
    Il est corse, mais il est aussi noble. Il a l’orgueil d’appartenir à cette lignée qui, depuis des générations, s’est séparée de la multitude et exerce sur elle son autorité.
    Il est partisan de l’égalité entre les nobles, et même entre les hommes, à condition qu’ils aient montré par leurs actes qu’ils en sont dignes.
    Il est corse, noble, mais aussi officier.
    Il a, depuis l’enfance, appris ce qu’est l’ordre militaire et une stricte hiérarchie.
    Il est fier d’être membre de cet ordre, de porter l’uniforme d’officier, même si c’est celui d’une armée étrangère.
    Il n’a vraiment rien de commun avec la canaille.
    S’il s’est interrogé sur le rôle des rois, c’est parce que la plupart d’entre eux, à ses yeux, n’ont pas mérité de régner. Mais il faut une hiérarchie. La discipline est nécessaire. Même si, au sein de cet ordre, l’égalité entre les hommes qui la méritent peut exister.
    — Je suis officier, répète-t-il à ceux qui soulignent sa détermination et son courage.
     
    En juin, il est rentré à Auxonne avec les trois compagnies de bombardiers. Mais il lui est difficile de rester à nouveau enfermé dans sa chambre à lire et à écrire.
    Il parcourt la campagne. Il dit à Des Mazis, qui devine sa nervosité, que les événements sont comme des faits de nature. Ils naissent des choses et des circonstances. Aux hommes de savoir entendre le grand remuement qui secoue les sociétés.
    Il se rend souvent chez le libraire d’Auxonne, sur la place de l’église. Il consulte les journaux. Le royaume bouge. Les États généraux se sont réunis à Versailles.

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