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[Napoléon 1] Le chant du départ

[Napoléon 1] Le chant du départ

Titel: [Napoléon 1] Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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soignée, recherchée même, aux traits du visage réguliers.
    La Corse, les ruelles d’Ajaccio, l’odeur de la mer, le parfum des pins, des lentisques, des arbousiers et des myrtes, tout ce monde qui avait été celui de l’enfant était relégué loin comme un secret intime. Et il avait fallu serrer les dents, se mordre les joues quand le père était reparti, laissant ses deux fils au collège d’Autun, Joseph, l’aîné, né le 7 janvier 1768, et Napoleone – l’un destiné à l’Église, et l’autre aux Armes.
    À Autun, en trois mois, du 1 er  janvier au 21 avril, il avait fallu apprendre le français, la langue étrangère, celle que les soldats du vainqueur clamaient dans les rues d’Ajaccio. Le père la parlait, mais pas la mère. Et tout ce qu’on avait enseigné aux fils Bonaparte, c’était l’italien.
    Apprendre, apprendre : l’enfant de neuf ans avait fermé les poings, enfoui la tristesse, la nostalgie, la peur même, le sentiment d’abandon, dans ce pays de pluie, de froid, de neige et d’ardoises où la terre sentait l’humus et la boue, et jamais le parfum des plantes grasses.
    Cette langue nouvelle, il a voulu la maîtriser, puisque c’était la langue de ceux qui avaient vaincu les siens, occupé l’île.
    Il se tend. Il récite. Il répète jusqu’à ce que les mots se plient. Cette langue, il la lui faut, pour combattre un jour ces Français orgueilleux qui se moquent de son nom et qu’il ne veut même pas côtoyer.
    Il se promène seul dans la cour du collège d’Autun, pensif et sombre. Son frère Joseph est au contraire affable, doux et timide. Mais Napoleone irrite par ce comportement où se mêlent fierté d’enfant humilié et amertume de vaincu.
    Alors on le taquine, on le provoque. D’abord il se tait, puis, quand on lui dit que les Corses sont des lâches parce qu’ils se sont laissé asservir, il gesticule et lance, rageur : « Si les Français avaient été quatre contre un, ils n’auraient jamais eu la Corse. Mais ils étaient dix contre un. »
    On lui parle de Pascal Paoli, le chef de la résistance aux Français, vaincu le 9 mai 1769 à la bataille de Ponte Novo.
    Une fois encore, il se contient.
    Il se souvient.
    Il sait que son père et sa mère ont été des protégés de Pascal Paoli. Jeunes gens d’à peine dix-huit et quatorze ans, ils ont vécu dans l’entourage de Paoli, à Corte, dans les années de la courte indépendance corse, entre la domination génoise et l’intervention française de 1767. En 1764, c’est Pascal Paoli qui fait pression sur la famille de Letizia Ramolino pour qu’elle autorise la jeune fille à épouser Charles Marie Bonaparte. La parole du Babbo – le père , ainsi l’on nomme Pascal Paoli – compte. Le mariage a lieu. Deux enfants naissent et meurent aussitôt. Puis, alors que Letizia vient à peine d’accoucher de Joseph, voici qu’elle est à nouveau enceinte, au moment où les troupes royales de Louis XV défont les patriotes corses. Il faut fuir par les sentiers du maquis, il faut franchir à gué les rivières.
    Et au collège d’Autun, l’enfant de neuf ans ne peut raconter cela à l’abbé Chardon qui, entre deux leçons de français, l’interroge, à la fois bienveillant et ironique.
    — Pourquoi avez-vous été battus ? demande l’abbé. Vous aviez Paoli, et Paoli passait pour un bon général.
    L’enfant ne peut se contenir.
    — Oui, monsieur, et je voudrais lui ressembler.
    Il est corse. Il hait ce pays, ce climat, ces Français. Il marmonne : « Je ferai à ces Français tout le mal que je pourrai. »
    Il est une sorte de prisonnier volontaire, de fils de vaincu captif. Il ne peut ni se confier, ni pleurer.
     
    Il se souvient des soirées de la maison paternelle, rue Saint-Charles, dans la profusion des parfums. Il se souvient de la douceur des voix.
    Sa mère était rude, elle giflait, elle fouettait. Mais elle était belle, aimante.
    Elle s’asseyait entre ses enfants. Enceinte une nouvelle fois, apaisée et inflexible.
    Elle racontait la guerre, la fuite après la défaite de Ponte Novo.
    La grand-mère paternelle, Maria Saveria Buonaparte, le demi-frère Joseph Fesch, puisque la mère de Letizia s’était remariée, la tante maternelle Gertrude Paravicini, la nourrice de Napoléon, Camilla Ilari, la servante Saveria – la seule domestique de la famille – écoutaient tous. Et souvent, la grand-mère dévote, qui assistait à neuf messes quotidiennes, se

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