[Napoléon 1] Le chant du départ
des collets aux couleurs du comte d’Artois, leurs cadenettes, ces tresses de cheveux qui partent du milieu du crâne et retombent sur la poitrine, rebondissent sur leurs épaules. Ils envahissent les cafés de la place, le Théâtre-Français, ils contraignent les consommateurs, les spectateurs et les passants à crier à leur tour, à condamner la Constitution, le décret des Deux-Tiers. De temps à autre une voix lance : « Vive le roi ! »
On dit que la section Lepeletier, celle de la Bourse, a envoyé une adresse à toutes les communes pour contester le décret des Deux-Tiers, en demander l’annulation. Elle a fait appel au général Danican pour diriger la Garde nationale de Paris afin de se dresser armes à la main, si besoin est, contre la Convention.
L’Assemblée siège. Dans l’entrée du bâtiment, Napoléon rédige sur ses genoux une lettre pour Barras, une autre pour Fréron. De temps à autre il s’interrompt. Il reconnaît cette atmosphère, c’est le vent d’une tempête qui se lève. Il se souvient du 20 juin, puis du 10 août 1792. Il était à quelques pas des émeutiers, non loin d’ici, spectateur, persuadé qu’il aurait été capable de changer le cours des événements. Il saurait mieux encore maintenant. Mais il est hors de la scène. Alors autant s’éloigner du théâtre, puisqu’on ne peut y jouer le premier rôle. Il faut partir à Constantinople, obtenir cette nomination déjà rédigée.
Quelques jours plus tard, il peut écrire à Joseph : « Il est question plus que jamais de mon voyage ; cela serait même décidé s’il n’y avait pas tant de fermentation ici ; mais il y a dans ce moment quelques bouillonnements et des germes très incendiaires, cela finira sous peu de jours. »
Il ne peut rester dans sa chambre. Il va au théâtre. Il a besoin de cette rumeur, de ces rires autour de lui. Elle l’isole tout en excitant sa pensée. Il sent le regard de Junot inquiet, étonné : alors que tous les spectateurs s’esclaffent, Napoléon reste impassible.
Dehors, sous les galeries du Palais-Royal, des groupes vocifèrent. On s’indigne des résultats du référendum approuvant la Constitution par un peu plus d’un million de voix, et à peine cinquante mille hostiles, mais il y a plus de cinq millions d’abstentions. Et ce décret des Deux-Tiers permettant aux Conventionnels de se retrouver dans les deux assemblées n’a recueilli que deux cent cinq mille quatre cent quatre-vingt-dix-huit voix contre plus de cent mille ! Farce, hurle-t-on. Puis des coups de feu. On tire sur une patrouille de l’armée. Des jeunes gens en armes passent. Certains portent l’emblème des Vendéens, fait d’un coeur et de la croix.
Mille émigrés ont débarqué, accompagnés de deux mille Anglais, dans l’île d’Yeu. Trente des quarante-huit sections de Paris, conduites par la section Lepeletier, appellent à se dresser contre la Convention, à prendre les armes. Maintenant que les sans-culottes ont été écrasés, que l’armée a été épurée de ses officiers jacobins, les modérés et les royalistes peuvent imaginer qu’ils ont la partie facile. Ils disposent de trente mille gardes nationaux en uniforme, et la Convention ne peut compter que sur huit mille hommes.
Ces voix, ces cris, ces rumeurs, ces coups de feu, ce piétinement des gardes nationaux en armes, et parfois ce galop d’un cheval, Napoléon les écoute, comme un chasseur qui guette l’occasion propice. Mais il n’est rien. Il ne peut qu’observer, attendre. Quoi ? questionne Junot.
On vient d’apprendre que la Convention, inquiète, appelle les généraux et les officiers disgraciés pour leur jacobinisme à la défendre. Elle a même formé avec des membres des sections anti-royalistes trois bataillons de volontaires, « les Patriotes de 89 ».
Protéger Barras, Fréron, Tallien, Cambacérès ! Napoléon ricane. Il prend Junot par le bras. « Ah, murmure-t-il les dents serrées, si les sections me mettaient à leur tête, je répondrais bien, moi, de les mettre dans deux heures aux Tuileries et d’en chasser tous les misérables conventionnels ! »
Mais les sections ont choisi le général Danican, et l’armée de la Convention est dirigée par le général Menou, celui-là même qui, le 20 mai, a brisé l’émeute de la faim des sans-culottes.
Où sont les différences entre Danican et Menou ? Allons au théâtre.
Les tambours dans les rues battent la
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